À propos

Faire dialoguer « rêve » et « fantastique » implique un retour aux origines, ce qui, à terme, permettrait de comprendre ce qui se fait désormais entendre.
Le fantastique semble, effectivement, bien être né d'un tremblement du rêve, de ce mouvement de bascule qui s'opère à la fin du XVIIIe siècle. Si les usages du rêve ont été nombreux depuis l'Antiquité, ses modes de représentation et la place qu'il occupe dans l'économie générale de la fiction se transforment avec les débuts du romantisme noir, en particulier dans le roman gothique où la nuit récupère les valeurs les plus inquiétantes de l'imagination. Le rêve cristallise alors tout ce que la nuit recèle de fantasmes, enfant terrible des succubes qui se donnent rendez-vous dans la chambre du rêveur et hantent les châteaux de la subversion.
Le rêve trouve ainsi dans l'esthétique fantastique un terrain d'expression privilégié dans la mesure où il partage avec elle une puissance de remise en question du réel : partant d'une même saisie subjective des phénomènes, usant des mêmes procédés de déstabilisation ou de déception - déformation du réel, incongruité des associations, soustraction à la logique rationnelle ou encore instabilité du référent -, le rêve et le fantastique paraissent sinon produire les mêmes effets, du moins s'alimenter à la même source. C'est sans doute pourquoi le rêve se prête parfaitement aux différentes approches du fantastique, et échappe à ce qui aurait pu l'enfermer dans une série de contradictions. En effet, il peut, d'une part, être mis au service d'un doute sur la nature du réel. Une telle conception, qui consiste à intellectualiser une incertitude, permet de relier le fantastique au rêve par une même modalité de lecture qui fait aller à la recherche d'un sens et d'une interprétation, trajectoire présentant potentiellement plusieurs niveaux. D'autre part, on ne peut nier qu'il participe également d'une esthétique de la monstration, puisqu'il est fait d'un surgissement d'images qui s'imposent à l'esprit dans un mouvement d'acceptation des paradoxes et de totale adhésion à l'univers, pourtant incohérent, qui est ainsi présenté. La conception du rêve comme fantasmagorie de la psyché permet aisément de l'envisager comme une oeuvre de fantaisie, autorisant les libres associations et la création la plus débridée.
Si le rapprochement entre rêve et fantastique peut être séduisant, il présente toutefois le risque de forger une conception du fantastique par analogie avec le rêve et de réduire toute production fantastique, en tant qu'elle est une oeuvre de l'imaginaire, à un rêve potentiel.
Pour éviter de voir ainsi se dissoudre la spécificité de ces deux objets de nature différente (un dispositif, un thème, une structure narrative, contre une catégorie esthétique), on propose de distinguer trois moments ou trois modalités dans la rencontre entre rêve et fantastique, qui semblent mettre en évidence un effacement progressif des seuils au profit d'un rapport de plus en plus confus entre rêve et quotidien représenté :
1) Le rêve se trouve enchâssé dans l'oeuvre fantastique, mais celle-ci trouve sa résolution dans le réveil, marqué et explicite, qui vient arracher le personnage au doute. Dans ce cas de figure, on peut s'interroger sur la fonction du rêve dans l'économie fantastique de l'oeuvre puisqu'il est à la fois embrayeur de l'expression fantastique et annulation de l'effet fantastique (c'est le cas dans les nouvelles de Nodier, Villier de l'Isle-Adam, Gautier ou encore Schnitzler comme certains blockbusters américains) ;
2) Comme dans le cas précédent, le seuil d'endormissement est tu, mais celui du réveil l'est aussi. Le rêve n'est donc plus qu'une hypothèse mise en tension avec une autre tentative d'explication qui relève cette fois du surnaturel (on pourrait penser ici à Kafka et certaines nouvelles de Maupassant).
3) Au XXe siècle semblent apparaître une nouvelle modalité de l'usage du rêve par le fantastique : l'oeuvre fantastique ne propose ni de sortie du surnaturel ni de résolution. C'est l'ensemble de l'oeuvre qui peutêtre assimilée à un rêve et propose un renversement total des niveaux de réalité. (c'est par exemple le cas des oeuvres qui alternent deux régimes de narration : Les Fleurs bleues de Queneau, La Nuit face au ciel de Cortázar, L'Existence de Mason de Kingsley Amis mais aussi les oeuvres de Philip K. Dick, le même régime de contamination du réel par le fantastique se retrouve dans ce que Franz Hellens appelle « le fantastique réel », par exemple).


Sommaire

Emilie Frémond, « Chambre optique, chambre panique. Le mauvais génie du lieu (XIXe-XXe); remarques en vue d'une topologie de l'unheimlich » Olivier Penot-Lacassagne, « Le corps sans organes du rêveur. Fantastique et démembrement (Bellmer, Bunuel, Artaud, Michaux) » Alain Schaffner, « La Vie en rêve de Béalu, manuel de lecture du rêve » Arnaud Huftier, « D'Ambrose Bierce à Deharme : le rêve guidé à la radio » Marie-Paule Berranger, « Mandiargues, entre chien et loup : revers de la médaille et persistances du rêve » Patricia-Laure Thivat, « Le référent pictural dans le cinéma fantastique, entre Vieux continent et Amérique » Fabien Delmas, « L'image-fantasme dans le cinéma de Vincente Minnelli » Pierre Berthomieu, « Les hétérotopies dans le cinéma de Steven Spielberg » Marie Bonnot, « La psychanalyse à l'épreuve du rêve fantastique : fascination et subversion d'un cauchemar interprétatif »

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  • Auteur(s)

    Revue Otrante

  • Éditeur

    Kime

  • Date de parution

    12/05/2015

  • Collection

    Revue Otrante

  • EAN

    9782841747115

  • Disponibilité

    Disponible

  • Nombre de pages

    204 Pages

  • Longueur

    21 cm

  • Largeur

    14.5 cm

  • Épaisseur

    1.5 cm

  • Poids

    245 g

  • Support principal

    Revue

Infos supplémentaires : Broché  

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