Que pourrait être un monde où l'air est respirable pour quelqu'un comme Adama Traoré, où la Méditerranée est une mer plutôt que le tombeau des espoirs en exil des harragas comme l'appelle de ses voeux la bande dessinée de Thiziri qui clôture ce numéro. Les violences policières sont une manifestation visible de politiques dont la logique consiste à étouffer, asphyxier, écraser et effacer les familles issues de l'immigration postcoloniale, en nous affectant directement ou indirectement.
L'idée de consacrer un numéro aux utopies a été décidée bien avant que la pandémie ne nous confine, et la promesse présidentielle d'un « monde d'après », qui fait peur plus qu'il ne fait rêver, à partir du moment où nous avons vu des drones se mettre à parler. Nous ne sommes pas tous égaux/égales face à la tâche d'imaginer quel serait ce monde, dans un contexte d'état d'urgence sanitaire qui a affecté de façon différenciée les individus selon leur race, leur classe et leur genre. Comment imaginer d'autres mondes quand nous sommes sous l'emprise de « nécessités pressantes » comme celle d'assurer la continuité de la vie de la nation, endossée principalement par des femmes et/ou racisé·es et/ou prolétaires.
2020 signe les cinq ans de la revue AssiégéEs qui met au centre les réflexions et les enjeux des personnes racisées appartenant aux minorités sexuelles et de genre, comme une opportunité de produire des savoirs, et de créer, avec nos façons de faire. Penser nos expériences n'est pas une finalité lorsque nous produisons des connaissances, parfois sous la forme d'auto-histoires : il s'agit toujours de nous relier à des histoires collectives ; de penser les rapports sociaux, les structures oppressives, à partir de la condition minoritaire ; de confronter fructueusement les multiples expériences de racialisation et de sexualisation.
Avec la revue AssiégéEs, nous faisons l'effort de traduire « nos propres peurs », « nos propres insécurités » comme l'espérait Donna Kate Rushin, car notre parole politique ne peut être réduite à traduire et faire des ponts entre les un·es et les autres, car nos corps et nos dos ne sont pas des ponts à piétiner.
Où se situent nos mémoires ?
Dans notre mémoire des lieux, au coin de la rue, quand un souvenir émerge. Dans le fond d'un carton poussiéreux d'archives ; dans les musées coloniaux ;
Les cimetières. Dans l'usine ; les champs ; les sites de construction ; les chambres de bonne ; les douches publiques. Les foyers de travailleurs immigrés ; les bidonvilles ; les camps ; les prisons ; les parloirs ;
Les cités de transit. Dans les traversées. Dans des espaces prévus pour disparaître. Dans des espaces qui prévoient notre disparition.
Dans la garde que prend mon corps ; nos jambes qui courent en zigzag ; nos cicatrices ; mes poils ;
Les mains abîmées par l'eau de javel ; l'espace pour poser sa tête sur les jambes de Setti. Dans l'odeur de l'ail et des épices de « chez-moi » ; le miel et l'huile d'olive ; les fleurs de jasmin ; le bon café qui siffle dans l'ibriq. Dans les rituels couchés sur des papiers secrets ou transmis par le corps ; les rituels afrocaribéens ; les arts martiaux et les danses ; le Gwo Ka, le kalarri payattu, la capoeira, le hip-hop.
Dans des mappemondes tenues à l'envers ; les vieilles photos et papiers d'identité enveloppés dans de l'aluminium ; les foulards des aïeules ; les jouets cachés au fond d'un tiroir, sous une pile de vieux sous-vêtements ; nos laissez-passer, nos cartes de séjours, nos passeports ou leur absence.
Nos silences et non-dits. Nos récits oraux et nos histoires. Nos tentatives pour préserver nos mémoires. Nos tentatives pour transmettre nos luttes, nos traces, nos sillons, nos mondes.
Ce cinquième numéro, Transmettre, se propose d'évoquer nos mémoires et amnésies intimes et collectives. Les transmissions passent par les corps, les gestes, l'ordinaire, le mondain, les luttes, par nos ancêtres et nos liens à la terre.
Aujourd'hui l'humanité est majoritairement urbaine, et «la ville est partout».
500 villes dans le monde comptent plus d'un million d'habitants, et pour 30 d'entre elles la barre des 15 millions est franchie! Au long de l'histoire, la ville est apparue comme berceau et symbole de la civilisation. Pourtant comment lire la réalité urbaine contemporaine comme un triomphe civilisationnel. Alors que se répand et s'aggrave le mal-être urbain, que trop de misères côtoient une richesse insultante, qu'à la Désertification des territoires et à l'abandon de leurs habitants se juxtapose la concentration des populations et des activités, avec les problèmes afférents de logement, de pollutions, de transports... Que vaut une dynamique de «métropolisation» présentée comme un impératif catégorique. Comment relever les défis sociaux, écologiques et démocratiques dont cette restructuration globale des espaces et des sociétés est porteuse, sinon en réinventant nos modes de penser, fabriquer, gouverner nos territoires. Une altermétropolisation est-elle possible.
Le dossier de la revue ouvre ce chantier, avec de nombreux spécialistes de la question, architectes, urbanistes, sociologues. Il appelle au débat.
Dans ce même numéro, une réflexion poursuivie sur les questions nationales. Ainsi qu'une place donnée à des livres et aux arts...
Bien des ruptures avec l'existant sont à mettre en débat. Ruptures par rapport à tous ces drames de la ville. Cette omniprésence d'une misère qu'on s'efforce de ne pas voir?: celle des sans-logis, celle des migrants...
Ces moyens de transport bondés où s'épuisent des salariés condamnés des heures durant à franchir les kilomètres séparant leur domicile de leur lieu de travail.
Cette juxtaposition d'espaces socialement ségrégatifs, ces ghettos modernes, les uns pour classes reléguées, les autres comme domaines sécurisés réservés aux riches et ultra-riches.
Comment une ville qui porte les marques de telles inégalités sociales pourrait-elle être en capacité de relever les défis qui menacent son devenir??
Défi écologique, pollutions et dérèglement climatique dégradant les conditions d'une vie humaine décente.
Défi démocratique, puisque s'impose une dynamique de dépossession des citoyens au profit d'instances de plus en plus autonomisées?: des municipalités vidées de leur substance dès lors que moyens financiers et pouvoir de décision sont dans la seule main de structures surplombantes, échappant gran¬dement au suffrage universel.
Ce qui aurait du sens, c'est de bâtir pour ces élections une vision partagée d'une ville française des années 2020, créatrice de lien social, accueillante pour tous les âges et toutes les populations, é¬co¬no¬mi-quement et socialement dynamique, adaptée à toutes les conséquences du changement climatique et contribuant à lutter contre celui-ci, protégeant la santé de ses habitants et notamment des plus fragiles, et proposant un habitat accessible à tous.
Les élections municipales sont l'occasion rêvée pour débattre de la ville, des territoires, du logement, des transports et des mobilités, des équipements et des services publics, de la transition écologique, et de la démocratie.
Dans ce premier numéro de l'année 2021, qu'on sait marquée de nombre d'inconnues et d'inquiétudes, le calendrier nous invite à un retour sur la Commune de 1871.
D'abord en signe d'un refus, celui d'oublier cette grande lueur qui, à l'échelle internationale, a éclairé le mouvement ouvrier à travers les décennies.
Et aussi au nom d'une conviction : on n'en a pas fini avec ce qu'a révélé cet évènement, ni de s'interroger sur ce qu'il a encore à nous dire.
Dans ce dossier des contributions de :
- Pierre Sorlin (« Marx témoin de la Commune ») ;
- Michèle Riot-Sarcey (« De la tricoteuse à la pétroleuse ») - Antoine Delalande (« Solidarités ouvrières et rôle de l'État ») ;
- Gilles Bounoure (« Les «artistes industriels» et la Commune de Paris ») ;
- Éric Aunoble (« La Commune au pays des soviets »).
Dans cette même livraison, à la jonction entre 2020 et 2021, se poursuit le travail engagé dans le numéro 47 d'analyse de la situation de l'Université et de la recherche confrontées aux réformes néolibérales que prolonge et aggrave l'actuelle Loi de programmation de la recherche (LPR).
Et pour l'actualité, une analyse de Laurent Vogel sur le travail, angle aveugle de la crise du Covid-19.
Pour la culture et l'art, deux sujets fort contrastés, par leurs époques et leurs préoccupations : les Olmèques, et le libertinage façon 18e siècle caché dans les collections du couple Cognacq-Jay.
Pour le troisième référendum devant décider du devenir de la Nouvelle-Calédonie le gouvernement a imposé la date du 12 ?décembre, contre la demande d'un report justifié par la crise sanitaire et les coutumes de deuil. Du coup, 96,5?% des voix pour le non à l'indépendance, les forces indépendantistes ayant appelé à la non-participation à cette consultation (celle-ci atteignant 56?%). Que dire du résultat d'un tel coup de force? S'il ouvre sur bien des inconnues, une chose est sûre?: il faut s'intéresser à la Nouvelle-Calédonie, réactiver la solidarité avec le peuple kanak et le soutien à ses droits.
À l'autre bout du monde, à Cuba, les protestations populaires du 11 ?juillet 2021 ont été inédites par leur ampleur et leur portée, indiquant que tout bouge. Où en est la révolution cubaine?
Retour en France, à la veille d'élections fort proches et décisives. Les gauches ne les abordent pas au meilleur de leur forme. Donc des éléments pour réfléchir et débattre de la question: «Quel avenir pour la gauche?» Également dans ce numéro deux articles consacrés à l'art?: «?Trois siècles de peinture chinoise?» et «?L'oeuvre irritante de Georg Baselitz?».
Nous, ici, dans cette partie occidentale du continent européen, nous en particulier de gauche, n'avons pas voulu accepter la possibilité de cette guerre, tant elle paraît contraire à toute raison, à tout intérêt (y compris sinon d'abord celui de la Russie). Et nous voici sidérés par ce qui ressemble à un saut dans le passé.
Poutine veut rétablir la «?Grande Russie?» et se fait ainsi l'héritier d'une longue tradition qui va de l'Empire tsariste à la Russie d'aujourd'hui, en passant par Staline et les dirigeants de l'URSS après la mort de Staline?: autocratie et nationalisme grand russe.
Après les attentats anti-Kurdes de Paris, un article de synthèse sur la « question kurde » (de Gilles Lemée) , ce peuple sans État dispersé dans quatre pays du Moyen-Orient (Turquie, Syrie, Iran, Irak), et qui est en première ligne des multiples conflits de la région.
Un article de Behrooz Farahany consacré à l'Iran :
Au bout de cinq mois de soulèvement et de répression, où va le mouvement Femme Vie Liberté ?
À propos de la guerre en Ukraine, une rencontre avec l'artiste révolutionnaire Katya Gritseva, et une réflexion magistrale du philosophe Volodymyr Yermolenko montrant en quoi les concepts universels de la pensée politique prennent des caractéristiques spécifiques liées à la réalité ukrainienne sans diminuer en rien leur portée.
Concernant la situation française un échange entre deux professeurs de droit constitutionnel, Paul Alliès et Dominique Rousseau, sur les enjeux d'une situation qui voit le président de la 5e République privé de majorité absolue au Parlement.
Et, avec le professeur d'économie Pierre Salama, une analyse de ce que signifie le retour de l'inflation, et quels bouleversements vont en résulter.
Dans ce même numéro un hommage à Bruno Latour.
Pour la culture et les arts, une nouvelle inédite de Judith Mahoney Pasternak, L'héritage mis à nu, et une étude sur le peintre Nicolas Poussin.