Fayard
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On croit souvent que les gays, jusqu'aux années 1960, ont vécu cachés, isolés les uns des autres, ostracisés par la société, et honteux d'être ce qu'ils étaient. C'est avec les années 1970 qu'ils seraient « sortis du placard », et apparus au grand jour pour revendiquer une place dans la société. Rien n'est plus faux, comme le montre l'extraordinaire voyage auquel nous convie George Chauncey dans l'histoire gay des années 1890-1940 à New York.
Invisibles, les gays ? Au contraire. Ils s'affichaient par centaines, parfois par milliers, dans les grands bals travestis de Greenwich Village ou de Harlem, et les journaux publiaient volontiers photos et dessins des costumes les plus extravagants. Ils draguaient dans les rues et dans les parcs, se rencontraient dans les établissements de bains, se mêlaient ouvertement aux autres clients de nombreux bars et restaurants. Ils publiaient des romans à thèmes gays et lesbiens. Ils avaient leurs manières à eux de s'habiller, de parler, de se reconnaître dans les environnements hostiles. Bref, les gays avaient créé un vaste monde gay à l'intérieur de la ville, avec sa géographie, ses codes, ses traditions, sa culture.
Exhumant d'étonnants documents d'archives - rapport des inspecteurs de police, dossiers des ligues morales, journaux à scandale, dessins humoristiques, journaux intimes, correspondances -, interrogeant des témoins de l'époque, relisant les articles de la presse populaire, George Chauncey restitue les modes de vie de ces hommes qui, malgré la réprobation sociale et une répression à peine imaginable aujourd'hui, réussirent à affirmer leur présence dans la ville avant qu'une chape de plomb, à la fin des années 1930, ne les renvoie à l'invisibilité.
Il ne faut pas hésiter à le dire : Gay New York est l'un des plus grands livres jamais écrits sur l'histoire contemporaine de l'homosexualité, de la sexualité en général, de la vie urbaine, et de la résistance opposée par les « déviants » aux injonctions de l'ordre social.
Didier Eribon -
Publié il y a près de vingt ans en France, L'Orientalisme avait suscité un immense intérêt et de vives polémiques sur la relation de domination que l'Occident a entretenue, et continue d'entretenir, avec le monde musulman. L'auteur y démontrait que l'Orient n'est qu'un fantasme créé par les orientalistes.
Avec Culture et impérialisme, Edward W. Said récidive. Il nous conduit "au coeur des ténèbres" blanches, de cette aventure coloniale constitutive de l'histoire de l'Occident moderne. S'appuyant sur une analyse fine et originale d'oeuvres classiques, que chacun connaît et admire, et sur une méthode analytique originale, il montre comment les grands créateurs du XIXe et du XXe siècles, de Joseph Conrad à Rudyard Kipling, d'Albert Camus à Verdi, de Charles Dickens à Honoré de Balzac, ont évoqué, souvent de manière déformée, voire entériné, cette formidable entreprise de domination de l'" homme blanc ". L'auteur met ainsi magistralement au jour l'impensé colonial qui a nourri des hommes et des femmes de culture pourtant pétris de pensées humanistes.
Mis enfin à la disposition du public francophone, Culture et impérialisme constitue une oeuvre majeure pour comprendre l'histoire de notre temps.
Edward W. Said est professeur de littérature anglaise et comparée à l'université Columbia (New York). Palestinien né à Jérusalem, imprégné de culture occidentale classique, Edward W. Said appartient, comme il le dit lui-même, "aux deux univers sans être entièrement d'aucun". Son statut d'exilé lui a permis d'être "partie prenante de plusieurs histoires et de plusieurs groupes humains".