Guy Debord (1931-1994) a suivi dans sa vie, jusqu'à la mort qu'il s'est choisie, une seule règle. Celle-là même qu'il résume dans l'Avertissement pour la troisième édition française de son livre La Société du Spectacle : «Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. Il n'a jamais rien dit d'outrancier.»
La question : « Comment des sociétés ont-elles disparu dans le passé ? » peut aussi se formuler : « Au rythme actuel de la croissance démographique, et particulièrement de l'augmentation des besoins économiques, de santé et en énergie, les sociétés contemporaines pourront-elles survivre demain ? »
La réponse se formule à partir d'un tour du monde dans l'espace et dans le temps - depuis les sociétés disparues du passé (les îles de Pâques, de Pitcairn et d'Henderson ; les Indiens mimbres et anasazis du sud-ouest des États-Unis ; les sociétés moche et inca ; les colonies vikings du Groenland) aux sociétés fragilisées d'aujourd'hui (Rwanda, Haïti et Saint-Domingue, la Chine, le Montana et l'Australie) en passant par les sociétés qui surent, à un moment donné, enrayer leur effondrement (la Nouvelle-Guinée, Tipokia et le Japon de l'ère Tokugawa).
De cette étude comparée, et sans pareille, Jared Diamond conclut qu'il n'existe aucun cas dans lequel l'effondrement d'une société ne serait attribuable qu'aux seuls dommages écologiques. Plusieurs facteurs, au nombre de cinq, entrent toujours potentiellement en jeu : des dommages environnementaux ; un changement climatique ; des voisins hostiles ; des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux ; les réponses apportées par une société, selon ses valeurs propres, à ces problèmes.
Cette complexité des facteurs permet de croire qu'il n'y a rien d'inéluctable aujourd'hui dans la course accélérée à la dégradation globalisée de l'environnement. Une dernière partie recense, pour le lecteur citoyen et consommateur, à partir d'exemples de mobilisations réussies, les voies par lesquelles il peut d'ores et déjà peser afin que, dans un avenir que nous écrirons tous, le monde soit durable et moins inéquitable aux pauvres et démunis.
Que se passe-t-il au coeur de l'interrègne ? Dans l'explosion des rivalités géopolitiques, la guerre est là. Du Donbass au métavers, des fronts se sont ouverts. L'invasion de l'Ukraine par la Russie nous a sidérés, mais comprendre cet affrontement crucial ne suffit pas. Comment, dès lors, organiser le continent ? Notre ère est en effet traversée par un phénomène occulte et structurant que nous proposons d'appeler la guerre étendue. De la technocratie aux nouvelles technologies, ses ramifications sont devenues planétaires : un monde irrigué d'infrastructures qui recèlent un empire de données et articulent un nouvel ordre dont on ne peut déterminer encore la forme. Le champ de bataille de la guerre hors limites a évolué. Le sol européen est-il en train de changer sous nos pieds ? La question de la postface signée Bruno Latour indique un cap pour ce volume où treize contributions stimulantes renouvellent nos catégories d'analyse.
«Quand l'homme en est réduit à l'extrême dénuement du besoin, quand il devient celui qui mange les épluchures, l'on s'aperçoit qu'il est réduit à lui-même, et l'homme se découvre comme celui qui n'a besoin de rien d'autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté. Il faut ajouter que le besoin alors change, qu'il se radicalise au sens propre, qu'il n'est plus qu'un besoin aride, sans jouissance, sans contenu, qu'il est rapport nu à la vie nue et que le pain que l'on mange répond immédiatement à l'exigence du besoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre. Levinas, dans diverses analyses, a montré que le besoin était toujours en même temps jouissance. Mais ce que nous rencontrons maintenant dans l'expérience d'Antelme qui fut celle de l'homme réduit à l'irréductible, c'est le besoin radical, qui ne me rapporte plus à moi-même, à la satisfaction de moi-même, mais à l'existence humaine pure et simple, vécue comme manque au niveau du besoin. Et sans doute s'agit-il encore d'une sorte d'égoïsme, et même du plus terrible égoïsme, mais d'un égoïsme sans ego, où l'homme, acharné à survivre, attaché d'une manière qu'il faut dire abjecte à vivre et à toujours vivre, porte cet attachement comme l'attachement impersonnel à la vie, et porte ce besoin comme le besoin qui n'est plus le sien propre, mais le besoin vide et neutre en quelque sorte, ainsi virtuellement celui de tous. Vivre, dit-il à peu près, c'est alors tout le sacré. » Maurice Blanchot.
L'intelligence artificielle connaît son heure de gloire. Aux déboires des commencements ont succédé, au tournant du XXI? siècle, des avancées spectaculaires mais qui ne sont pas parfaitement comprises : l'intelligence artificielle reste en partie opaque. Pis : elle a beau progresser, la distance qui la sépare de son objectif proclamé - reproduire l'intelligence humaine - ne diminue pas.Pour dissiper cette énigme, il faut en affronter une deuxième : celle de l'intelligence humaine. Celle-ci ne se réduit pas à la capacité de résoudre toute espèce de problème. Elle qualifie par un jugement la manière dont nous faisons face aux situations, quelles qu'elles soient, dans lesquelles nous sommes. L'intelligence est une notion irréductiblement normative, à l'image du jugement éthique ou esthétique, et c'est pourquoi elle est réputée insaisissable.Un système artificiel «intelligent» connaît non pas les situations, mais seulement les problèmes que lui soumettent les agents humains. C'est sur ce point uniquement que l'intelligence artificielle peut nous épauler. De fait elle résout une variété toujours plus grande de problèmes pressants.Ce devrait demeurer là son objectif, plutôt que celui, incohérent, de chercher à égaler, voire surpasser, l'intelligence humaine. L'humanité a besoin d'outils dociles, puissants et versatiles, et non de pseudo-personnes munies d'une forme inhumaine de cognition.
«Cet essai s'adresse principalement à tous ceux que laissent perplexes - en tout cas depuis l'irruption de la pandémie - le désordre évident du monde contemporain, sa complexité et ses embarras multiples, ses prétentions vaines, ses annonces non suivies d'effets, ses graves problèmes non annoncés et bien d'autres détails obscurs.»Alain Badiou fait ici le constat d'un désordre général, d'un brouillage des consciences et du sentiment d'une plus grande imprévisibilité du futur, qu'il nomme une désorientation. Préexistant à la pandémie qui en révèle cependant l'ampleur, ce phénomène, dont l'origine réside à la fois dans un déficit de vérité au profit des opinions et dans l'idéologie dominante, s'exprime dans les champs les plus divers. Au travers d'exemples circonstanciés - les polarités politiques et les mouvements de contestation, le féminisme contemporain, l'écologie, l'enseignement, la laïcité - et au regard de son propre engagement politique, Alain Badiou en livre une analyse étayée par l'observation et l'argumentation. Avec l'idée, qui lui est chère et fonde son propos, qu'«un désordre évident ne s'éclaire que si on le considère comme un eet de l'ordre dont il procède».
« L'imaginaire », aujourd'hui dirigée par Yvon Girard, est une collection de réimpressions de documents et de textes littéraires, tantôt oeuvres oubliées, marginales ou expérimentales d'auteurs reconnus, tantôt oeuvres estimées par le passé mais que le goût du jour a quelque peu éclipsées.
Attentat d'Anagni, persécution des templiers, expulsion des Juifs du royaume, manipulations de la monnaie..., ou, au contraire, première réunion des états généraux. Dans notre mémoire nationale, la figure de Philippe le Bel reste attachée à une dérive autoritaire de la monarchie capétienne. Ce roi a pourtant fait la France à plus d'un titre, et c'est cette oeuvre de fondation que ce livre s'attache à restituer.Il donne à comprendre comment, sous l'autorité d'un monarque encore médiéval, a été opéré un véritable modelage idéologique et politique de la France. Le petit-fils de Saint Louis n'a pas seulement «fait la France» par une régénération des moyens et des méthodes d'action de l'État en formation. Son gouvernement antiféodal, ses guerres, sa diplomatie, ses rapports à l'Église, tous participent de la même ambition:instaurer sur le monde chrétien une domination de la France, une domination perpétuelle. Ce dessein n'a pas eu pour seul foyer le Conseil du roi. Il a été secondé sur le terrain doctrinal par de grands universitaires, propagé par d'ardents prédicateurs, mis en oeuvre à travers le pays par les officiers royaux et avalisé par les représentants des trois ordres.Autour des années 1300, c'est une remarquable poussée d'orgueil «nationale» qui prend forme, savamment enracinée dans la religion, l'histoire, le sentiment dynastique et le droit. La marque insigne de ce naissant complexe de supériorité du royaume est qu'il ne s'éteindra guère:jusqu'au XX? siècle, la France ne pourra plus se passer de l'idée élective de se voir, et de se vouloir, différente.
«Parti à la recherche des origines de la sociologie moderne, j'ai abouti, en fait, à une galerie de portraits intellectuels... Je me suis efforcé de saisir l'essentiel de la pensée de ces sociologues, sans méconnaître ce que nous considérons comme l'intention spécifique de la sociologie, sans oublier non plus que cette intention était inséparable, au siècle dernier, des conceptions philosophiques et d'un idéal politique.» Raymond Aron.
Le concept de Personne, tel qu'on l'entend ici, désigne la capacité qui permet à l'homme à la fois de se vivre comme une subjectivité singulière et de participer au social.L'argumentation prend ici appui sur l'expérience de l'adolescent, son fonctionnement étant en effet révélateur des processus que suppose la Personne. Ce qui se joue à cette période de la vie oblige à comprendre que, loin d'être acquise d'emblée, c'est à une époque relativement tardive de son existence, après les années de l'enfance au sens strict, que la Personne émerge en l'homme. Elle se spécifie dès lors clairement par rapport aux autres capacités dont celui-ci peut faire preuve dès la première enfance, à savoir le langage, mais également l'habileté technique et le désir.Processus général, donc anthropologique au plein sens de ce terme, la Personne suppose fondamentalement une abstraction, en l'occurrence une prise de distance radicale par rapport au mode de rapports immédiats dans lequel l'être humain se trouve naturellement pris. Cette abstraction se fait ici absence, à soi-même en même temps qu'à autrui. Pour autant, l'homme n'en demeure aucunement à ce moment d'abstraction qui n'est qu'implicite et il investit contradictoirement son être dans des situations sociales diverses.Le présent ouvrage trouve sa source dans les travaux du linguiste Jean Gagnepain, auquel on doit d'avoir éclairé, le premier, ce processus paradoxal ou «dialectique» constitutif de la Personne. Mais, au-delà de la Personne, c'est toute la dimension pratique de la rationalité humaine que cette perspective d'analyse invite à repenser, de l'emploi du signe au sens de la norme, en passant par l'usage de l'outil.
«Nous sentons, écrivait Schleiermacher en 1828, que notre langue ne peut vraiment développer sa pleine force que par les contacts les plus multiples avec l'étranger.» De Herder à Holderlin en passant par Novalis, Goethe, Humboldt et les frères Schlegel, l'acte de traduire occupe en effet une place centrale dans le champ culturel et littéraire allemand. Jamais la traduction, dans l'histoire de l'Occident, n'a été méditée de façon aussi riche et aussi vivante. C'est, pour le lecteur français, tout un domaine inconnu qui est ici dévoilé, exploré, analysé. Et, au-delà du problème spécifique de la traduction, c'est toute une série de questions fondamentales qui surgissent, questions que retrouve notre modernité : le rapport du «propre» et du «natal» à l'étranger, l'essence de l'oeuvre, la nature de la langue. Cet essai, remarquablement conduit, à la fois érudit et clair, ouvre la voie à une nouvelle discipline (faudrait-il l'appeler traductologie ?) qui ferait enfin entrer la traduction dans le champ de l'histoire, du savoir et de la réflexion.
Après des décennies d'indifférence et de relégation au profit de la capitale et des métropoles, ce que l'on n'appelait plus que «la France des territoires» ou «la France périphérique» est en train de revivre et peut-être même de reprendre l'avantage. Ce qui justifie de lui rendre son nom de «province» : le sentiment d'infériorité d'hier fait place à une nouvelle fierté. Jérôme Batout décrit les manifestations de cette revanche et analyse les conditions qui l'ont permise, de la révolution des modes de vie aux données nouvelles de la vie économique.Un livre anticipateur, qui pointe un basculement appelé à changer profondément beaucoup d'aspects de la société française.
«Ce n'est pas la Covid-19 qui a mis le monde à terre, mais la psychose provoquée par ce virus.»Renaud Girard, Jean-Loup BonnamyL'émotion désordonnée avec laquelle les États-Unis et la plupart des grands pays d'Europe occidentale ont réagi à l'épidémie de Covid-19 restera dans l'Histoire comme un bel exemple de psychose collective. Dans l'adoration de ce nouveau veau d'or qu'est le «principe» de précaution, nous avons foulé aux pieds les valeurs les plus sacrées pour lesquelles se sont battus nos aînés. Renaud Girard et Jean-Loup Bonnamy livrent ici une réflexion d'ensemble largement nourrie de données internationales sur les conséquences médicales, sociales et économiques de l'événement.
Pourquoi toujours revenir à Max Weber ?
Il disait lui-même de son oeuvre - pour s'en réjouir - qu'elle était appelée, comme tout travail scientifique, à être dépassée. Mais aujourd'hui ne voit-on pas perdurer dans des formes et sur des thèmes, tout compte fait à peine renouvelés, le dissensus qui s'était manifesté il y a plus d'un siècle, au sein des sciences sociales naissantes, en Allemagne particulièrement, et dont Max Weber, pourtant, avait contribué, plus que d'autres, à dépasser les apories ?
Eu égard aux incertitudes qui s'emparent à nouveau des sciences sociales - de la sociologie, en particulier - quant à leurs fondements et à leurs objets, il semble qu'on pourrait tirer le plus grand profit de la lecture de textes comme ceux que nous présentons ici et dans lesquels Max Weber affiche l'ambition de « formuler en des termes que nous espérons plus appropriés et un peu plus corrects ce que toute sociologie empirique veut dire effectivement quand elle parle des mêmes choses ».
Une réflexion sur l'épistémologie et la méthodologie des sciences sociales, sur leur « logique », s'imposait d'autant plus, aux yeux de Weber, qu'un ébranlement des modèles d'intelligibilité au sein des sciences sociales (économie et histoire en tête) touchait aux « problèmes en apparence les plus élémentaires de notre discipline, sa méthode de travail, sa manière de former ses concepts et la validité de ceux-ci. »
«Un système de surveillance généralisée et d'une nature nouvelle est en train d'être mis en place. Et c'est à ce système que le passage au distanciel va soumettre l'Université.»L'Université se retrouve en première ligne du front numérique. En ouvrant la voie à une adoption plus large du «distanciel» dans l'enseignement supérieur, la crise pandémique va accentuer les évolutions profondes déjà engagées dans les apprentissages universitaires et leurs évaluations. Elle met au jour sa vulnérabilité aggravée à l'emprise toujours plus forte des logiques managériales sur un lieu dont la vocation critique consiste pourtant à les tenir à bonne distance. Car le numérique n'est pas une forme vide ; il porte en soi certaines manières de faire et de dire auxquelles, précisément, l'Université ne saurait sans résistance se plier, au nom d'un enseignement libre, incarné et divers - et par là aussi, de son temps. Il y a urgence à agir.
On connaît la chanson, tant elle semble réaliste : richesse du monde, appauvrissement des existences ; triomphe du capital, liquidation des savoir-vivre ; surpuissance de la finance, « prolétarisation » et unification des modes de vie, par l'industrialisation de la camelote kitsch et des produits jetables, interchangeables, insignifiants - le capitalisme est une machine de déchéance esthétique et d'enlaidissement du monde Est-ce si sûr ?
Le style, la beauté, la mobilisation des goûts et des sensibilités s'imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques : le capitalisme d'hyperconsommation est un mode de production esthétique.
Dans les industries de consommation, le design, la mode, la publicité, la décoration, le cinéma, le show-business des produits chargés de séduction sont crées en masse, ils véhiculent des affects et de la sensibilité, ils agencent un univers esthétique proliférant et hétérogène par l'éclectisme des styles qui s'y déploie. Partout le réel se construit comme une image en y intégrant une dimension esthétique-émotionnelle devenue centrale dans la compétition que se livrent les marques.
Tel est le capitalisme artiste ou créatif transesthétique, lequel se caractérise par le poids grandissant des marchés de la sensibilité par un travail systématique de stylisation des biens et des lieux marchands, d'intégration généralisée de l'art, du « look » et de l'affect dans l'univers consumériste. Créant un paysage économique mondial chaotique tout en stylisant l'univers du quotidien, le capitalisme est moins un Ogre dévorant ses propres enfants qu'un Janus à deux visages.
«Pourquoi les humains sont-ils si bêtes ? Pourquoi se laissent-ils traîner par le bout du nez ? Les ânes ont de longues oreilles ridicules par lesquelles ils se font bêtement attraper, mais quand ils ne veulent pas avancer, rien ne peut les forcer à obéir.»Boualem Sansal adresse aux peuples et aux nations de la terre un manifeste athée, plein d'un humour féroce et rageur, pour les appeler à sortir de l'âge des dieux et à entrer dans celui des hommes. L'humanité doit trouver le moyen de résister aux forces qui la détruisent : les religions et leurs sempiternelles pénitences, l'argent tout-puissant, les passions guerrières, ou encore la malbouffe omniprésente sur la planète, symptômes indubitables d'un effondrement des civilisations.Après un rappel des errements et des crimes du passé, le grand écrivain algérien propose une «Constitution universelle» censée servir de base à la République mondiale qu'il appelle de ses voeux, qui fédérerait les peuples et les nations enfin libres.Il est temps, nous dit-il, de choisir la vie.
Winnicott, dont l'interlocuteur privilégié était l'enfant, se méfiait du langage trop savant des psychanalystes.
Il aimait rencontrer ce qu'il appelait des "mères ordinaires" et s'adresser aux auditoires les plus variés pour traiter aussi bien de la dépression que de l'adolescence, du mur de berlin que de la pilule ou encore de la monarchie britannique.
On trouvera dans ce volume, outre des articles parus dans des revues non spécialisées, des causeries prononcées devant des médecins ou des professeurs de mathématiques, des travailleurs sociaux ou des féministes.
Le propos n'est pas d'enseigner mais de converser et, sans avoir l'air d'y toucher, de jeter quelque trouble dans les idées reçues de tout un chacun. pour ce faire, rien de plus efficace qu'une pensée complexe dans des mots simples : rien de plus tonique que la fraîcheur d'esprit, le paradoxe et l'humour.
« Clodo est là pour enseigner cette terrible vérité : la normalité est sans issue. Sous le masque bienveillant de nos démocraties se cache cette totalitaire injonction : Citoyen sera productif ou lentement, et sans bruit, mis à mort. Qu'on ne s'y trompe pas. La souffrance des pauvres et des fous est organisée, mise en scène, nécessaire. La République tout entière verse des larmes de crocodile à la mémoire de nos chers disparus de la rue. Clodo vivant embarrassait ; voici son cadavre, garanti pur misérable hypothermique, déclaré d'utilité publique. » Patrick Declerck.
Une génération après que la Révolution eut supprimé les privilèges aristocratiques, une nouvelle élite apparut dans la société française:les «artistes», dont le prestige était devenu tel qu'il leur permettait de s'égaler aux plus grands, malgré l'absence de naissance, de fortune, de pouvoir. En même temps s'imposait l'idée qu'ils formaient une seule catégorie mêlant, tous genres confondus, écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens. Et l'identité collective de cette catégorie inédite se définissait, avec la «bohème», par l'excentricité du hors normes:une élite en marge, donc. Cette situation paradoxale s'explique en partie par le statut institutionnel, économique, démographique, juridique, sémantique des activités artistiques, que reconstitue minutieusement Nathalie Heinich. Mais elle tient aussi à des facteurs de plus longue durée:les valeurs de sens commun, que révèle l'exploration des romans, des témoignages, des journaux, des correspondances. Car on ne comprendrait pas que cet étrange phénomène ait pu perdurer, s'imposant aujourd'hui plus que jamais, sans prendre en compte ces valeurs fondamentales que sont l'aspiration à l'égalité et la reconnaissance de l'excellence, la préséance du mérite et le droit au privilège. La singularité artiste offrirait-elle à notre société contemporaine, écartelée entre aristocratisme, égalitarisme et méritocratie, une solution de compromis à un élitisme acceptable par la démocratie?
Pourquoi, dans toutes les cultures, les femmes ont-elles été exclues de la chasse? Pourquoi n'ont-elles pu ni monter à bord des navires ni être soldat? Pourquoi leur a-t-on plutôt assigné les tâches de cueillir, de filer, de tisser, de tanner? Qu'est-ce qui expliquerait qu'il existe des façons masculines et des façons féminines de couper, de creuser et de travailler la terre?
Dans cet essai qui conjugue audace intellectuelle et rigueur scientifique, Alain Testart montre que ce sont les croyances qui expliquent la différenciation des activités masculines et féminines et fait remonter leur origine à la lointaine préhistoire. Ces croyances, même tacites et irrationnelles, ont des effets puissants sur la réalité et obéissent à une logique cachée : celle du sang périodique des femmes, perçu comme une grave perturbation qui affecte l'intérieur de leur corps et les exclut de tâches particulières.
Même si cette répartition traditionnelle des activités sera bientôt une chose du passé, elle ne laisse pas d'étonner par sa constance, sa quasi-universalité jusque dans les temps présents. Dans cet essai, Alain Testart nous entraîne pas à pas dans une réflexion d'une grande nouveauté sur le rôle du sang dans les représentations sociales et la constitution du genre.
Un ouvrage à part, une oeuvre à part, un auteur à part.Daniel Fabre, ethnologue et anthropologue, était un homme d'une activité débordante, de curiosités sans frontières et d'une érudition insatiable. Il a laissé, en disparaissant brutalement en 2016, à soixante-huit ans, une oeuvre dispersée en une quantité d'articles et d'essais que sa soif d'enrichissement et de perfectionnement perpétuels condamnait à un éternel inachèvement.De cet ensemble foisonnant se détachent deux axes principaux. D'une part, l'«invisible initiation» à la maturité masculine, spécialement dans les sociétés paysannes et méditerranéennes. D'autre part, l'attention au statut de l'écrivain et de l'artiste, les formes et les pratiques de l'expression littéraire.Chacun de ces centres d'intérêt fera, dans cette collection, l'objet d'un ouvrage. Voici le premier avec une présentation de l'auteur par Pierre Nora.