San Francisco, 1942. Card est un détective privé dont les affaires ne marchent pas très fort. Et pour cause : au lieu de s'occuper de la sordide histoire de cadavre volé dans laquelle l'a embarqué une femme mystérieuse (et fatale, comme il se doit), ou de trouver une nouvelle secrétaire après que la précédente a claqué la porte, Card passe son temps à rêver. En imagination, le voici qui se transporte dans le temps et l'espace à Babylone, où il devient le fin limier le plus célèbre et adulé de la cité antique.
Détournement jubilatoire des codes du polar, portrait hilarant et poignant d'un homme pour qui la vie est littéralement un songe, Un privé à Babylone est l'un des joyaux de l'oeuvre de Richard Brautigan, et sans doute l'un des romans les plus personnels de cet écrivain culte, devenu le saint patron littéraire de tous ceux qui tournent le dos au monde pour mieux le réenchanter par la fantaisie et la poésie.
Est-ce un lieu ? Le nom d'un personnage cul-de-jatte ? Un cours d'eau ? Une librairie ? Un hôtel ? Un slogan politique ? Ou encore, tout simplement, un poisson ? La «truite» de Richard Brautigan est un peu tout cela, et plus encore ; métaphore aussi enchanteresse qu'incongrue d'une Amérique rêvée et réinventée de fond en comble par Brautigan à l'orée de l'âge beat, c'est surtout son chef-d'oeuvre, le livre qui lui conféra du jour au lendemain une gloire à ce jour jamais démentie.
Livre totem, qui de génération en génération aura toujours trouvé sa place sur les chevets des amoureux de la littérature la plus libre et poétique, La Pêche à la truite en Amérique, auquel répond Sucre de pastèque comme une sorte de face B plus satirique, est un émerveillement inépuisable.
Le narrateur décide de s'installer à Big Sur avec son ami Lee Mellon, qui se croit le descendant d'un général de la guerre de Sécession. Au bord du Pacifique, ils investissent une cabane, construite par trois hommes ivres, où l'on ne peut se déplacer sans se cogner au plafond et dont les nuits sont peuplées par le coassement incessant des grenouilles. Au fil de multiples anecdotes plus fantaisistes les unes que les autres, le lecteur suit la trajectoire de ces deux hommes : leur rencontre avec Elisabeth et Elaine - qui aura l'idée d'acheter des alligators pour les débarrasser des grenouilles -, avec qui ils vivront respectivement l'amour fou ; l'apparition de Johnston Wade, un milliardaire déséquilibré qu'ils surnomment Roy Earle (« le personnage de Humphrey Bogart dans High Sierra »), que sa famille menace d'interner. Les aventures de ces héros n'en finissent jamais, puisque quand bien même Richard Brautigan tente d'écrire une fin, une deuxième vient s'y ajouter, puis une troisième.
Né en 1935, Richard Brautigan, poète, novelliste et romancier, est l'un des pionniers de la Beat Generation. Installé à San Francisco dès 1956, il est l'auteur de onze romans, dix recueils de poésie, deux scénarii qui séduiront la génération Woodstock et feront de lui une icône de la contre-culture et du mouvement hippie. Il passe la fin de sa vie retiré dans un ranch du Montana avant de mourir en Californie.
Richard Brautigan a acquis le statut d'artiste culte et continue d'inspirer nombre de cinéastes et d'écrivains.
« Il ne s'agit pas ici de loufoquerie, de parodie, de fantaisie gratuite. Brautigan rejoint la grande tradition radicale des écrivains américains auxquels il adresse des clins d'oeil discrets dans son texte : Whitman, Mark Twain, Sherwood Anderson, Hemingway. » Le Monde
Mémoires sauvés du vent, paru en 1983, est un recueil de nouvelles rassemblant histoires, anecdotes, fragments douloureux et saugrenus de la jeunesse de Richard Brautigan. Il met en scène des personnages entre l'enfance et l'âge adulte, entre le rêve et la réalité, dépeints dans une langue fluide, sobre, limpide : la description d'un lac et d'un couple de pêcheurs obèses qui ont installé là un canapé, des lampadaires et un guéridon où se trouvent des numéros du National Geographic, ou encore l'image harcelante de l'accident survenu durant son enfance, cette balle de carabine avec laquelle il tua accidentellement son camarade de chasse. À travers ce recueil, Richard Brautigan parcourt en sens inverse la spirale de sa vie, il la rêve, la sculpte, la remodèle à sa guise grâce à la magie des mots.
Tokyo-Montana Express, le très spécial TGV (Texte à Géniales Visions poétiques) conçu et piloté par Richard Brautigan, fait la navette entre le Montana, où il vivait une partie de l'année, et le Japon, pays dont il était tombé amoureux. Au long des quelque 130 stations qui jalonnent son imprévisible itinéraire, on trouvera des restaurants où toutes les serveuses ont la même tête ; d'autres désespérément vides ; un taxi rempli de carpes ; le plus grand film érotique du monde ;
Et la plus petite tempête de neige jamais observée depuis l'invention du bulletin météo.
Flânerie dans les mots et les paysages, invitation à regarder le monde d'un oeil neuf, attentif à la beauté de ses plus infimes et improbables détails, Tokyo-Montana Express est l'une des oeuvres de Brautigan dans lesquelles il livre le plus de lui-même, tout en laissant libre cours à la fécondité de son imagination à nulle autre pareille. Il y a là la quintessence de l'art poétique d'un des écrivains les plus attachants, loufoques et émouvants de la littérature américaine.
"Faut bien le reconnaître, ce livre m'a énervé. Moi aussi, j'ai fait des polars : j'ai encore la série complète sur mon étagère ; je les donne presque tous pour avoir pondu les aventures du type qui se retrouve un matin dans un cimetière de San Francisco avec quatre noirs pleins de rasoirs autour de lui, une mère grondeuse qui l'accuse d'avoir tué son père à l'âge de quatre ans avec une balle en caoutchouc, qui possède en prime un cadavre dans le réfrigérateur et, dans la tête, suspendus, tous les jardins de Babylone, là même où Smith Smith, le plus grand joueur de base-ball de tous les temps, se bagarre contre les ombres-robots et les cristaux à mercure.
Big Brautigan" Claude Klotz, 1981.