Ample fresque historique embrassant mythologie et monde contemporain, Fille d'Amanitore dépeint l'articulation de la beauté et la brutalité propre au monde des humains, au travers de récits de vie de femmes d'aujourd'hui, filles et mères, en des mondes où se mêlent demeure ancestrale des divinités, terre des humains et le no man's land d'Amanitore, la candace à la mémoire oubliée. Léonora Miano invite à repenser le fondement divin du désir, réinterroge la puissance de la filiation féminine, et le poids des non-dits dans la transmission mère-fille. Et que mon règne arrive est une exhortation à la reconquête de leurs mémoires et leur par des femmes subsahariennes, pour les affranchir du discours bien-pensant de la « sororité planétaire », autre leurre du féminisme européocentré. Dans cette proposition pour affranchir la femme subsaharienne de toute forme de domination, coloniale et masculine, Léonora Miano l'inviter à habiter ses spiritualités, et orchestre le règne du féminin dans le monde par la voie africaine.
Chef minable d'une bande de gangsters du Bronx, Arturo Ui parvient à s'imposer par la terreur comme « protecteur » du trust du chou-fleur à Chicago. Il réduit au silence un politicien corrompu, Hindsborough, fait éliminer par Gori et Gobbola, ses séides, un homme de main à lui, assassine le patron du trust des légumes de Cicero, la ville voisine, et séduit la veuve de celui-ci, quasiment sur le cercueil de la victime. Le résultat est que l'on vote partout pour lui, tant à Cicero qu'à Chicago. D'autres crimes et d'autres conquêtes suivront. Rien n'arrêtera Arturo Ui, hormis les peuples, qui finiront par en avoir raison. « Mais il ne faut pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt : le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. »
On avait toujours dit que les astres étaient fixés sur une voûte de cristal pour qu'ils ne puissent pas tomber.
Maintenant nous avons pris courage et nous les laissons en suspens dans l'espace, sans soutien, et ils gagnent le large comme nos bateaux, sans soutien, au grand large. et la terre roule joyeusement autour du soleil, et les poissonnières, les marchands, les princes, les cardinaux et même le pape roulent avec elle.
Philippe et Vincent ferment leur vidéoclub, après vingt- sept ans passés au milieu des films. Une bobine teintée de nostalgie et de passion. C'était avant Netflix, avant Amazon, avant le streaming. C'étaient eux, les Mohicans : un veuf, un divorcé, engloutis sous les VHS et les DVD. Ils décident de partir vivre à la campagne. Pour renommer le monde, échapper au temps, se réinventer, entre souvenirs tenaces et espoirs inouïs. Une maison hantée dans le Vercors, où le fantôme d'Orson Welles n'est jamais loin. Dotés d'un humour à toute épreuve, ces cinéphiles invétérés cultivent leur jardin, jusqu'au matin de l'horreur... Hommage sensible au cinéma, entre lancinement tragique et salves comiques, Lazzi évoque un monde en liquidation, en attente d'un futur sensé.
La dernière période de Lars Norén est un tournant radical vers une écriture qui creuse les relations humaines jusqu'à l'os, évoquant les adieux et les souvenirs. Dans une déréliction du temps et de l'espace, les personnages deviennent écrans de projection de la mémoire. Norén, dans la lignée d'Ibsen et de Bergman, fait surgir les fantômes parmi les vivants. Solitaire, dernier texte qui rappelle Les Aveugles de Maeterlinck, nous présente dix personnages anonymes qui cherchent à comprendre pourquoi ils se retrouvent ensemble, dans ce lieu qui leur est inconnu. Plongés dans l'obscurité, presque invisibles les uns aux autres, ils évoquent leurs êtres chers, ceux qu'ils attendent, remontant le fil de la vie - voulant donner un sens à l'absurde, malgré tout.
Sous le nazisme, la peur et la misère affectaient toutes les couches de la société allemande, l'intelligentsia, la bourgeoisie, la classe ouvrière. Il y a certes le courage de la poignée de militants qui, au mépris de tous les dangers, publient une littérature illégale. Mais il y a aussi la capitulation, face à la terreur, d'une trop grande part de l'intelligentsia. C'est ce qu'a voulu montrer Brecht, d'abord à ses compatriotes exilés, autour des années 1938, en écrivant la trentaine de courtes scènes, inspirées de la réalité même, de Grand-peur et misère du IIIe Reich.
La pièce naît en 1934 de la volonté de Brecht et de Margarete Steffin, de rassembler un matériau composé de coupures de presse et de témoignages sur la vie quotidienne en Allemagne sous la dictature hitlérienne. Le titre fait allusion au roman Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, et inscrit donc la pièce dans une lignée de peintures naturalistes de la société allemande de l'avant-guerre, brossant un large tableau allant du monde ouvrier à la magistrature en passant par la petite bourgeoisie.
La création de huit scènes aura lieu en mai 1938 à Paris devant un public essentiellement composé d'émigrés. Certaines scènes seront également publiées dans des revues d'émigrés visant à alerter l'opinion publique sur la réalité de la dictature en Allemagne et signalant le danger d'une guerre imminente. On y voit tour à tour la bourgeoisie, le corps médical, la justice, les enfants, les prisonniers, etc. évoluer face au régime.
Ce n'est cependant qu'après la Seconde Guerre mondiale que la pièce rencontre son succès, car elle montre, comme le disait Brecht lui-même, " la précarité évidente du IIIe Reich, dans toutes ses ramifications, contenue uniquement par la force ".
Aujourd'hui encore, Grand-peur et misère du IIIe Reich résonne comme un avertissement contre toute forme de système absolu et reste l'un des textes clés du vingtième siècle et au-delà. C'est un manifeste qui invite à lutter contre toute forme politique basée sur la discrimination et sur la crainte.
Sismographe d'une génération à la dérive, Fracassés oscille entre rage de vivre, lutte et désespoir.
À Londres, trois jeunes gens, Ted, Danny et Charlotte se battent pour donner un sens à leur existence.
Solitude et sentiment d'aliénation s'adossent à des conditions de vie précaires et une morosité du quotidien.
Tous trois restent fortement éprouvés par la mort de leur ami Tony, survenue dix ans plus tôt.
Prisonniers de jobs insatisfaisants et de vies étriquées, ces quadragénaires sombrent dans une fuite en avant qui les absorbe et leur fait perdre la raison.
Le jour de l'anniversaire de la mort de Tony, ils décident de se retrouver le temps d'une soirée pour faire le bilan et se donner un nouvel élan.
Monologues intérieurs, scènes chorales, slams et scènes dialoguées au réalisme brut s'entremêlent avec un réalisme social des plus violents où les rêves de jeunesse se fracassent, les désillusions tournent en addictions.
Dans le commissariat central de Milan, un « Fou » donne du fil à retordre à un agent de Police et au Commissaire Bertozzo : ils se livrent à un interrogatoire que le « Fou » démonte peu à peu, les déstabilisant et dévoilant peu à peu toutes les facettes de sa personnalité et de ses déguisements (juge à la Cour de cassation, capitaine de police puis évêque) pour faire éclater la vérité au grand jour. « Voyez mon dossier médical ; j'ai déjà été interné seize fois... et toujours pour la même raison : j'ai la manie des personnages. Cela s'appelle « histrionomanie », du latin istriones qui veut dire acteur. En fait, mon hobby, c'est de jouer sans cesse des rôles différents. » Avec un aplomb déconcertant, celui-ci se livre à une contre-enquête menée avec brio et un sens inné de la démesure sur le massacre d'état perpétré à l'encontre du cheminot anarchiste, Guiseppe Pinelli, précipité depuis la fenêtre du 4e étage de ce même commissariat, tandis que l'enquête officielle avait conclu à un suicide. Une affaire qui fit scandale en Italie et en Europe, mettant à jour les méthodes illicites utilisées pour forcer les aveux lors des interrogatoires. Une farce politique subversive qui s'illustre par la démesure de la supercherie mise en scène, la bêtise et l'impunité des puissants, la duplicité de la justice, et l'équilibre toujours fragile de la vérité.
Satire politique sur la corruption de la justice, écrite en 1970, Mort accidentelle d'un anarchiste est un hommage brûlant et plein d'esprit à la quête de la vérité et au rétablissement d'une mémoire bafouée.
Manque est un texte duquel la violence physique, si caractéristique d'Anéantis ou de Purifiés, est absente. Quatre voix dont l'identité n'est pas clairement définie parlent respectivement entre elles et à ceux qui les écoutent. La lecture de Preparadise sorry now de R.W. Fassbinder est à l'origine du projet. Les ressemblances avec La Terre vaine de T.S. Eliot sont patentes, du moins sur le plan poétique, car le texte est truffé d'allusions et de citations, sans que Kane ait voulu les identifier. Quant au sujet, les voix qui déversent leurs sensations dans un torrent d'impressions, de souvenirs et de désirs sont à l'image de l'idée que Sarah Kane se faisait de l'amour : dès que deux personnes forment une relation, une sorte de colonisation prend place et l'une d'elles risque d'être abusée par le pouvoir que l'autre exerce sur elle.
Écrit en 1959, ce grand classique du répertoire noir américain emprunte son titre à un poème de Langston Hughes, figure majeure de la Harlem Renaissance.
Un raisin au soleil est un texte essentiel pour comprendre la ségrégation raciale et sociale aux États-Unis, et les formes de résistance possibles.
Ce drame raconte la vie d'une famille du quartier noir de Chicago dans les années cinquante, qui rêve d'ailleurs dans un appartement usé par le temps.
Un chèque de pension de 10 000 $ vient semer la zizanie et divise la famille Younger. Que faire quand soudain tout devient possible ? Lena dite « Mama » décide d'honorer la vie de labeur de son défunt mari et achète une nouvelle maison pour sortir la famille de son taudis, décidant d'épargner le reste pour les études de médecine de sa fille. C'était sans compter sur le désespoir de Walter Lee, son fils, prêt à tout pour donner un sens à sa misérable vie, et la pression exercée par l'association de voisinage pour les faire renoncer à s'installer dans leur nouvelle maison, située dans un quartier blanc de Chicago, illustrant la pratique discriminatoire du redlining. Faut-il tenir tête à un monde hostile ou accepter la place qui nous est assignée ?
La pièce se déroule au mois de mars 1759 à la frontière entre Norfolk et Suffolk, en pleine Angleterre rurale. Alors que le pays attend la comète de Halley, Sally Poppy, 21 ans, est condamnée à être pendue pour un meurtre affreux. Lorsqu'elle prétend être enceinte, 12 matrones sont dessaisies de leurs tâches ménagères pour former un jury populaire qui décidera de sa vie. La prévenue dit-elle la vérité ou essaie-t-elle simplement d'échapper à la potence en amadouant le jury ? Avec la sage-femme Lizzy Luke prête à défendre la jeune fille, et une foule qui réclame du sang à l'extérieur, les matrones se livrent à un combat juridique acharnée, où le diable n'est jamais loin...
De 1618 à 1648, la guerre de Trente Ans a dévasté l'Europe. Pour Brecht, cette guerre est " l'une des premières guerres gigantesques que le capitalisme a attirées sur l'Europe. " Mère Courage reconnaît l'essence mercantile de cette guerre : elle suit les armées avec sa carriole de marchandises et fait de bonnes affaires. " Tout au long de la pièce, Mère Courage a les yeux collés, elle n'arrive pas à le voir ; pour elle, le négoce est extensif à la guerre, la guerre est contingente au négoce. " (Roland Barthes) Mais cette marchande a aussi des enfants, et c'est là que la bât blesse et que la dialectique passe à l'attaque.
Brecht écrivit Mère Courage en exil, à l'automne 1940, à une époque où le peuple allemand était aussi peu capable que Mère Courage de tirer les leçons de ses malheurs et de surmonter ses contradictions. Mais aujourd'hui, les Mère Courage ont-elles disparu ?
La mise en scène de la pièce par Brecht en 1949, avec le Berliner Ensemble, a pour la première fois fait connaître concrètement au public, et avec un immense succès, le théâtre épique et dialectique, tel que Brecht l'avait conçu pendant son exil.
À la fin de ce volume, le lecteur trouvera des textes de Brecht éclairant Mère Courage sous cet angle.
Le censeur de Sa Majesté Nicolas Ier, à qui fut présenté Le Revizor, conclut à une farce amusante, et l'autorisation de publier fut accordée. Le sens profond de cette oeuvre ne fut compris que beaucoup plus tard.
D'ailleurs, lorsque Le Revizor fut créé au théâtre, le 19 avril 1836, il ne s'imposa pas d'emblée. Personne ne savait ce qu'il fallait penser de la pièce. Farce plaisante ou calomnie ? On se méfiait. Gogol souffrit longtemps de cette suspicion du public. C'est en 1839 seulement, à Moscou, que Le Revizor fut accueilli triomphalement.
Les personnages de Gogol sont pour la plupart des gens simples, paisibles, qui dépouillent autrui ou qui se font dépouiller avec le plus parfait naturel. Ils sont les produits inévitables de la société de ce temps, où la pourriture n'a plus rien d'exceptionnel.
Pièce maîtresse de Strindberg, cette "tragédie naturaliste" est l'une des plus belles traductions de Boris Vian. Dans ce huis clos, s'affrontent deux personnages que tout oppose : Julie, fille d'un comte suédois et Jean, son serviteur. Prisonnière du sentiment de supériorité de sa classe et de la haine des hommes, inculquée par sa mère, Julie affronte Jean et veut le dominer. Qui se révélera le plus fort à ce jeu cruel de séduction-répulsion à l'issue tragique ?
Les Bas-Fonds, conçus en même temps que Les Petits Bourgeois, est considéré comme le chef-d'oeuvre dramatique de Gorki. Stanislavski, le premier, en avait assuré la mise en scène. Dans Ma vie dans l'art, il s'étend longuement sur les problèmes que la pièce lui avait posés.
« Vivement intéressés par les récits de Gorki, nous eûmes envie d'observer nous-mêmes cette humanité déchue. Une expédition fut organisée au marché de Khitrovo qui était l'empire des clochards.
Nous pûmes visiter librement ces grands dortoirs où, sur d'innombrables bat-flanc, gisaient immobiles, tels des cadavres, des hommes et des femmes rompus de fatigue. L'un de ces asiles de nuit abritait "l'université" des clochards : c'étaient ceux qui savaient lire et écrire et que l'on chargeait souvent de copier les rôles de nos acteurs. Nous fûmes reçus comme de vieux amis : ne nous connaissaient-ils pas en tant qu'acteurs ? Ne copiaient-ils pas nos rôles ? Nous posâmes sur la table la collation que nous avions apportée (de la vodka et du saucisson), et la fête commença.
En apprenant que nous étions venus étudier leur vie pour la représenter dans une pièce de Gorki, les clochards furent touchés aux larmes.
- Quel bonheur pour nous ! s'écria l'un.
- Mais qu'y a-t-il d'intéressant dans notre vie ? Pourquoi nous montrer sur la scène ? s'étonnait un autre. »
Cette pièce vient clore la trilogie des « Points de non-retour » débutée avec [Thiaroye] en 2018, suivie de [Quais de Scène] en 2019, formant ainsi une grande fresque historique aux récits intimes enchâssés. Poursuivant son exploration des récits manquants de l'histoire postcoloniale française, Alexandra Badea s'attache ici à un épisode lui aussi largement méconnu : les « enfants de la Creuse ». Le transfert d'enfants réunionnais organisé par les autorités françaises, dans le but de repeupler certains départements victimes de l'exode rural dans les années 1960 et 1970. Qui sont ces enfants déracinés, qui peuplaient les foyers de la DDAS dans les années 1980 ? D'autres récits d'abandons viennent s'y articuler, posant la question de la responsabilité de l'État dans cette vaste entreprise de déportation.
Dans un foyer abandonné, envahi par la végétation, Nora (figure récurrente des autres volets de la trilogie) réalise un documentaire sur les « enfants de la Creuse » pour saisir des traces de sa mémoire familiale. Elle rencontre trois anciens pupilles qui, trente ans auparavant, ont séjourné dans ce foyer, aujourd'hui dévasté par le temps.
S'articulent ainsi mémoire familiale, générations sacrifiées et pages effacées de l'histoire contemporaine, mettant à jour les interférences politiques dans un espace intime anéanti.
Un jour et une nuit, rythmés de plusieurs événements. Un cortège de personnes sans nom la plupart du temps défilent sur un banc, près d'un cimetière. Seuls « un moi » (Aksle) et « un autre moi » (David), un couple séparé, suite au départ inexpliqué de Aksle, sont nommés. Depuis, « un autre moi » et « une mère » attendent désespérément son retour, tuent le temps en invitant des gens à la maison pour faire la fêter. Sur le banc, près du cimetière, « une ex-femme » implore « un ex-mari » de se réunir à nouveau et oublier le passé, « une mère » donne rendez-vous à « une soeur » et « un frère », pour inhumer près du lac son défunt mari, selon ses dernières volontés. Sur un banc, près du cimetière, ils et elles se retrouvent, se rencontrent, s'importunent, se consolent, oublient et s'accrochent au temps qui passe. Souvenir de Rêve d'automne de Jon Fosse, la dernière pièce de Arne Lygre donnent voix aux fantômes du présent, avec cruauté et une certaine désinvolture, pour conjurer l'oubli, dans une langue très quotidienne
Fable écologiste et apocalyptique, Quand viendra la vague est une comédie humaine aux allures de Jugement dernier.
Le déferlement d'une vague bouleverse l'écosystème d'une petite île et menace de frapper de plus belle. Avec humour, la pièce oscille entre jeu réaliste et fiction eschatologique. Qui survivra à la mystérieuse crue ? Qui « mérite » d'être sauvé ? Assis sur un rocher, Mateo et Letizia assistent à la montée des eaux et procèdent à la sélection des espèces.
A l'heure du règlement de comptes et de l'effondrement de leur monde, ces maîtres du jeu sauront-ils pardonner aux fantômes du passé et se libérer de leur insularité ?
Dans cette courte forme aux dialogues ciselés, Alice Zeniter s'intéresse à l'enfermement que représente le couple. Que signifie choisir quelqu'un ? Nul homme n'est une île.
Lorsqu'elle retourne à Güllen après une longue absence, Claire est prête à sortir le bourg de sa misère financière. Mais elle demande un prix, son propre prix : la vieille dame veut régler son compte à Alfred, son ancien amant qui l'avait éconduite après l'avoir mise enceinte... La Visite de la vieille dame est la pièce de Dürrenmatt la plus jouée au monde.
L'Amour de Phèdre semble occuper une position singulière parmi les pièces de Sarah Kane et il est de fait très rare qu'un auteur anglais adapte une pièce classique. Indépendamment du fait que l'impulsion pour le projet venait du Gate Theatre - Sarah Kane avait d'abord pensé à Woyzeck et Baal, deux idées auxquelles elle n'a pas donné suite pour des raisons pratiques -, elle s'est finalement décidée à reprendre Phèdre de Sénèque, l'histoire d'une reine qui tombe désespérément amoureuse de son beau-fils. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'adaptation s'intègre parfaitement dans l'univers de l'auteur : réapparaissent notamment la dissection d'une émotivité masculine malsaine et nihiliste, tout comme la question de Dieu et les conséquences de la violence.
Poème tragique sur le pouvoir destructeur de la beauté, Norma Jeane Baker de Troie, d'après Hélène d'Euripide, superpose deux figures mythiques, Hélène de Troie et Marilyn Monroe, née Norma Jeane Baker, un seul et même destin entre la cité antique et New York. Hélène et Marilyn, soeurs jumelles unies par une force mytho-poétique, icones de beauté, objets de fascination et destin unique malgré les quelques milliers d'années qui les séparent. Démultipliant les avatars et les effets d'illusion ou usurpation d'identités, Norma Jeane (alias Marilyn Monroe) prend aussi l'apparence de Truman Capote, écrivain et cinéaste américain aux milles excès, ultime superposition et mise en abyme de l'homme créateur et de sa créature, en pleine écriture d'un scénario qu'il « tente de sauver du mélodrame ».
Janvier 2021 - 14/01/2021 - 64 pages - 11,6 cm x 18,7 cm - 13 € ISBN : 978-2-38198-011-9 Son mari Arthur (on pense à l'écrivain Arthur Miller avec lequel Marilyn fut mariée de nombreuses années), devient sous la plume incisive de Carson, roi de Sparte et de New York, « un homme qui croit à la guerre ».
Huit heures ne font pas un jour forme ce que l'on appelle aujourd'hui une « mini-série » en cinq épisodes, diffusée à la télévision allemande d'octobre 1972 à mars 1973, et trois épisodes supplémentaires non réalisés. Cette minisérie décrit la vie quotidienne d'une famille de la classe ouvrière en Allemagne de l'Ouest, entre utopie prolétaire post-« 30 Glorieuses » et fresque sociale reflétant l'anticonformisme culturel des années 1970.
Sans naturalisme feint ni goût prononcé pour la caricature sociale, Fassbinder y aborde les mécanismes d'oppression, l'aliénation par le travail à l'usine, lieu d'exercice de l'autorité des contremaîtres et des patrons, le désir d'émancipation par le travail chez les femmes, l'opportunisme insidieux de la presse, l'essor du consumérisme avec l'ouverture de l'Allemagne de l'Ouest au libéralisme occidental, ou des sujets plus tabous comme le désir amoureux des personnages âgées.
Loin du documentaire social, c'est une démarche fictionnelle que privilégie Fassbinder, qui joue de manière délicieusement subversive avec les codes de la représentation télévisuelle. Dans une démarche totalement novatrice et visionnaire, comparable à celle des romanciers réalistes du 19e siècle, le réalisateur s'attache ici à la représentation d'un monde social, le milieu du prolétariat ouvrier, qui n'était traditionnellement pas « montré » dans les fictions télévisées.
« Ce qui m'intéresse ici, disait Heiner Müller, c'est la difficulté de taille qu'il y a entre l'écriture dramatique et le théâtre, de sorte que les pièces qui courent après le théâtre sont rapidement montées alors que les textes qui devancent un peu le théâtre n'arrivent que difficilement ou tardivement sur scène. Ce qui m'intéresse dans les textes d'Elfriede Jelinek est la résistance qu'ils opposent au théâtre tel qu'il est ».
Comment mieux définir la position de celle qui est volontiers comparée pour son cynisme à Thomas Bernhard ? À l'instar de son compatriote, Elfriede Jelinek ne cesse de dénoncer les tares d'une société bourgeoise, conformiste et négligente envers son histoire. Dans Les Suppliants, texte écrit en 2013 en réaction aux agissements des autorités viennoises vis-à-vis des demandeurs d'asile, s'élève la voix de l'Étranger - une voix chorale traversée de mille autres. Cette langue, se gonflant telle une vague de récits aussi bien mythologiques que bibliques, de discours administratifs ou politiques, prend la forme d'une discordante et magistrale prière. Sous-tendue par des expressions idiomatiques ou proverbiales, des textes de philosophie classique et des vers d'Eschyle, Rilke ou Hölderlin, déréglée par des jeux sonores et linguistiques, elle accomplit l'accueil de l'étranger. Maître-mot, la langue chez Jelinek prend toujours le lecteur au dépourvu.
Traduit de l'allemand par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke.