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GALLIMARD
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«Il faut s'adapter» : sur un nouvel impératif politique
Barbara Stiegler
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 24 Janvier 2019
- 9782072757495
D'où vient ce sentiment diffus, de plus en plus oppressant et de mieux en mieux partagé, d'un retard généralisé, lui-même renforcé par l'injonction permanente à s'adapter au rythme des mutations d'un monde complexe? Comment expliquer cette colonisation progressive du champ économique, social et politique par le lexique biologique de l'évolution ?
La généalogie de cet impératif nous conduit aux sources d'une pensée politique, puissante et structurée, qui propose un récit très articulé sur le retard de l'espèce humaine et sur son avenir. Elle s'est donné le nom de « néolibéralisme » : néo car, contrairement à l'ancien qui comptait sur la libre régulation du marché pour stabiliser l'ordre des choses, le nouveau en appelle aux artifices de l'Etat (droit, éducation, protection sociale) afin de transformer l'espèce humaine et son environnement et construire ainsi artificiellement le marché : une biopolitique en quelque sorte.
Il ne fait aucun doute pour Walter Lippmann, théoricien américain de ce nouveau libéralisme, que les masses sont rivées à la stabilité de l'état social (la stase, en terme biologique), face aux flux qui les bousculent. Seul un gouvernement des experts peut tracer la voie de l'évolution des sociétés engoncées dans le conservatisme des statuts. Lippmann se heurte alors à John Dewey, grande figure du pragmatisme américain, qui, à partir d'un même constat, appelle à mobiliser l'intelligence collective des publics, à multiplier les initiatives démocratiques, à inventer par le bas l'avenir collectif.
Un débat sur une autre interprétation possible du sens de la vie et de ses évolutions au coeur duquel nous sommes plus que jamais.
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Bouleversement ; les nations face aux crises et au changement
Jared Diamond
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 17 Septembre 2020
- 9782070147229
Ce livre est une étude comparative, narrative et exploratoire des crises et des changements sélectifs survenus au cours de nombreuses décennies dans sept nations modernes : la Finlande, le Japon, le Chili, l'Indonésie, l'Allemagne, l'Australie et les États-Unis. Les comparaisons historiques obligent, en effet, à poser des questions peu susceptibles de ressortir de l'étude d'un seul cas : pourquoi un certain type d'événement a-t-il produit un résultat singulier dans un pays et un très différent dans un autre ? L'étude s'organise en trois paires de chapitres, chacune portant sur un type différent de crise nationale. La première paire concerne des crises dans deux pays (la Finlande et le Japon), qui ont éclaté lors d'un bouleversement soudain provoqué par un choc extérieur au pays. La deuxième paire concerne également des crises qui ont éclaté soudainement, mais en raison d'explosions internes (le Chili et l'Indonésie). La dernière paire décrit des crises qui n'ont pas éclaté d'un coup, mais qui se sont plutôt déployées progressivement (en Allemagne et en Australie), notamment en raison de tensions déclenchées par la Seconde Guerre mondiale. L'objectif exploratoire de Jared Diamond est de déterminer une douzaine de facteurs, hypothèses ou variables, destinés à être testés ultérieurement par des études quantitatives. Chemin faisant, la question est posée de savoir si les nations ont besoin de crises pour entreprendre de grands changements ; et si les dirigeants produisent des effets décisifs sur l'histoire. Tout en respectant la volonté première de ne pas discuter d'une actualité trop proche qui, faute de distance et perspective, rendrait le propos rapidement obsolète, un Épilogue, propre à l'édition française, esquisse, en l'état des données, une réflexion sur la pandémie du Covid-19.
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Servitudes et grandeurs des disciplines
Collectifs
- Gallimard
- Nrf Essais
- 9 Janvier 2025
- 9782073057020
Elles et ils sont quelques-uns - philosophes, sociologues, historiens, spécialistes de la littérature - à partager d'avoir publié dans la collection NRF Essais leurs enquêtes, recherches, questions. Ils ont pratiqué au cours des trente-cinq dernières années ce à quoi la collection les invitait : la pluridisciplinarité, c'est-à-dire faire un pas d'écart, ouvrir leur domaine de recherche à d'autres, connexes ou voisins. Mais la question centrale de la discipline est des plus paradoxales. Il est exigé aujourd'hui des sciences humaines et sociales qu'elles prennent leur part dans la crise écologique, la course aux sciences cognitives et à l'intelligence artificielle notamment. Elles devraient se rassembler en un conglomérat qui puisse peser face aux sciences du vivant dont l'articulation de leurs divers domaines de recherche s'impose comme le grand modèle à suivre. Or cette pluridisciplinarité, clef des financements internationaux, entre en totale contradiction avec, à l'échelon national, les critères d'évaluation des carrières qui demeurent résolument disciplinaires. On attend de chacun qu'il creuse son sillon toujours plus spécialisé. C'est dans ce contexte qu'il nous a paru nécessaire et instructif de demander à quelques auteurs, dans le respect de leur méthode de travail et de recherche, de prendre le temps de penser la notion de discipline, telle qu'ils la conçoivent, la pratiquent et l'enrichissent. Pierre Birnbaum, Luc Boltanski, Pierre Bouretz, Johann Chapoutot, Robert Darnton, Pascal Engel, Laurence Fontaine, Axel Honneth, Christian Jouhaud, Judith Lyon-Caen, Thomas Pavel, Philippe Roussin, Jean-Marie Schaeffer, Dominique Schnapper.
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L'humeur révolutionnaire : Paris, 1748-1789
Robert Darnton
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 3 Octobre 2024
- 9782072990496
Les ouvrages sur la Révolution française sont innombrables. Tous, ou presque, partent de juillet 1789 pour choisir dans les décennies précédentes les événements qui peu ou prou conduisirent à la prise de la Bastille. Robert Darnton, à l'inverse, arrive à juillet 1789 en partant de la multitude d'agitations, de troubles, d'insurrections qui parcoururent le royaume, et Paris tout particulièrement. Pourquoi aucun de ces moments ne donna-t-il lieu à l'équivalent de la prise de la Bastille ? Darnton, à travers le système d'information si particulier au petit peuple du XVIII? siècle - rumeurs, nouvelles orales ou à la main, épigrammes et chansons pornographiques contre la Cour, gazettes venues de l'étranger ou tracts parisiens -, reconstitue les cycles de violence du XVIII? siècle : ce qu'il appelle l'humeur révolutionnaire. C'est-à-dire, entre autres éléments, la haine du despotisme - tout abus de pouvoir perçu comme tel, qu'il s'agisse des restrictions imposées par les corporations au commerce, de l'autorité exercée par la faculté de Médecine de Paris sur les médecins ou encore de l'emprise de l'Académie française sur la littérature - ; la résistance face à l'inégalité devant l'impôt ; l'amour de la liberté, soit le droit commun d'agir et parler librement sans craindre les espions de la police ni les lettres de cachet, de lire des journaux indépendants non soumis à la censure, et d'obéir à des lois déterminées par les citoyens et non proclamées par Versailles ; l'engagement envers la nation, comme citoyens et non plus comme sujets, devant l'impéritie militaire de la monarchie ; la foi dans les pouvoirs de la raison et des Lumières. Tout cumula en juillet 1789. D'où, en conclusion, la question posée par Darnton : qu'est-ce que 1789 a eu de révolutionnaire ?
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Énigmes et complots : Une enquête à propos d'enquêtes
Luc Boltanski
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 16 Février 2012
- 9782070136292
Pourquoi, au tournant des XIXe et XXe siècles, observe-t-on tour à tour : le développement du roman policier, dont le coeur est l'enquête, et du roman d'espionnage, qui a pour sujet le complot ; l'invention, par la psychiatrie, de la paranoïa, dont l'un des symptômes principaux est la tendance à entreprendre des enquêtes interminables, prolongées jusqu'au délire ; l'orientation nouvelle de la science politique qui, se saisissant de la problématique de la paranoïa, la déplace du plan psychique sur le plan social et prend pour objet l'explication des événements historiques par les " théories du complot " ; la sociologie, enfin, qui se dote de formes spécifiques de causalité - dites sociales -, pour détermine les entités, individuelles ou collectives, auxquelles peuvent être attribués les événements qui ponctuent la vie des personnes, celle des groupes, ou encore le cours de l'histoire ? La raison en est la conjoncture nouvelle que créent de profonds changements dans la façon dont est instaurée la réalité sociale.
C'est à l'Etat-nation, tel qu'il se développe à la fin du XIX° siècle, que l'on doit le projet d'organiser et d'unifier la réalité pour une population et sur un territoire. Mais ce projet, proprement démiurgique, se heurte à une pluralité d'obstacles parmi lesquels le développement du capitalisme, qui se joue des frontières nationales, occupe une place centrale. Ainsi la figure du complot focalise des soupçons qui concernent l'exercice du pouvoir : où se trouve réellement le pouvoir et qui le détient, en réalité ? Les autorités étatiques, qui sont censées en assumer la charge, ou d'autres instances, agissant dans l'ombre, banquiers, anarchistes, sociétés secrètes, classe dominante, etc.
? Ainsi s'échafaudent des ontologies politiques qui tablent sur une réalité doublement distribuée : à une réalité officielle, mais de surface et sans doute illusoire, s'oppose une réalité profonde, cachée, menaçante, officieuse, mais bien plus réelle. Roman policier et roman d'espionnage, paranoïa et sociologie - inventions à peu près concomitantes - sont solidaires d'une façon nouvelle de problématiser la réalité et de travailler les contradictions qui l'habitent.
Les aventures du conflit entre ces deux réalités - réalité de surface contre réalité réelle- constitue le fil directeur de l'ouvrage.
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Le souverain laborieux : Une théorie normative du travail
Axel Honneth
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 12 Septembre 2024
- 9782073031792
Un des plus grands défauts de presque toutes les théories de la démocratie consiste à oublier obstinément que les membres de ce Souverain qu'elles invoquent à cor et à cri sont toujours aussi des sujets laborieux. On s'imagine que les citoyennes et les citoyens se soucient avant tout de prendre part aux débats politiques pour y défendre leurs idées ; mais la réalité sociale est que, jour après jour, la plupart des individus se consacrent à un travail, ce qui - en raison de leur position subalterne, de leur faible rémunération ou du surmenage auquel ils sont exposés - leur interdit en pratique ne serait-ce que de se projeter dans le rôle d'acteurs autonomes de la formation démocratique de la volonté. Le point aveugle de la théorie de la démocratie est donc une division sociale du travail qui est née sur le sol du capitalisme moderne et qui, en raison de positions très inégalement dotées, détermine qui détient quelles possibilités d'influencer le processus de la formation démocratique de la volonté. Négliger cette sphère est d'autant plus fatal pour une théorie de la démocratie qu'elle perd ainsi de vue l'un des rares leviers qui permettent à l'État démocratique d'agir sur ses propres conditions d'existence : en dehors de l'instruction scolaire, l'État démocratique peut, en agissant sur les conditions de travail, déterminer quels sont les schémas comportementaux bénéfiques, c'est-à-dire coopératifs.
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Une journée dans la vie d'Abed Salama : Anatomie d'une tragédie à Jérusalem
Nathan Thrall
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 11 Janvier 2024
- 9782072998140
Le 16 février 2012 s'annonce comme une journée ordinaire pour Abed Salama, un Palestinien des Territoires occupés. Tôt le matin, son fils Milad est parti en excursion avec son école. Très vite la rumeur se répand qu'un bus scolaire a été heurté de plein fouet par un semi-remorque sur une route sous contrôle israélien mais très mal équipée et entretenue car empruntée pour l'essentiel par des Palestiniens. N'était le nombre de victimes brûlées vives (enfants et institutrice), il aurait pu ne s'agir que d'un banal accident de la route, dû à un trafic surchargé puisque ralenti par un checkpoint de l'armée israélienne - elle endigue aux heures de pointe la circulation des Palestiniens afin de faciliter celle des colons israéliens. Tout se déploie dans le récit serré et l'écriture neutre de Nathan Thrall : la fracture des familles palestiniennes entre les membres qui acceptent de collaborer avec les services sécuritaires d'Israël, suite aux accords d'Oslo, et ceux qui refusent la corruption morale et financière que cela entraîne ; les conditions de scolarisation et d'embauche dans une situation d'occupation ; les itinéraires imposés par Israël aux Palestiniens afin de raccourcir et sécuriser au maximum les trajets des colons qui ceinturent Jérusalem : ceux-ci occupent toujours plus de terres qui étaient encore palestiniennes en 1948, dont la population a été chassée et les noms arabes ont été effacés ; la construction d'un mur de séparation entre colonies juives et villages arabes, qui oblige les Palestiniens à d'absurdes détours, sur des axes surchargés, et qui, en l'occurrence, empêchera ce jour-là les secouristes d'arriver à temps sur les lieux. Thrall anatomise une tragédie à Jérusalem. De cette chaîne de causalités, la justice de l'État hébreu ne retint que la responsabilité du chauffeur palestinien du semi-remorque, condamné pour défaut de maîtrise du véhicule.
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Contes de la Lune : Essai sur la fiction et la science modernes
Frédérique Aït-Touati
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 14 Avril 2011
- 9782070130733
Nous sommes dès notre plus tendre enfance invités à penser qu'un fossé sans fond sépare à jamais les « scientifiques » des « littéraires ».
Cette idée est d'autant plus infondée qu'à ses origines, il y a tout au plus quatre siècles, la science s'est construite grâce à des stratégies rhétoriques et littéraires, l'usage de la fiction en particulier : certains textes savants de l'époque sont à mi-chemin entre le récit d'aventures et la fable utopique. De ce paradis de l'imaginaire scientifique nous sont parvenus d'étranges récits de voyages sur une Lune peuplée de « Lunariens », d'anges et de démons, récits dont le but, très scientifiquement prosaïque, était de voir la Terre tourner, conformément à ce qu'impliquait la théorie de Copernic.
Mais cette science romanesque fut de courte durée : dès la fin du siècle, les envols poétiques de Kepler, Wilkins et Cyrano étaient entravés par les exigences rationalistes de Fontenelle et de Huygens. Encore fructueuse deux siècles plus tard, pendant l'âge d'or de la vulgarisation des sciences que fut le XIXe siècle, l'ancienne alliance entre science et littérature s'est aujourd'hui dissoute : la littérature ne s'empare que très marginalement des avancées scientifiques et la science, y a-t-il lien de cause à effet ? souffre à l'évidence d'un certain tarissement de ses sources d'inspiration.
Peut-être ses tenants n'ont-ils pas assez lu Kepler et Cyrano, qui constituent pourtant, quatre siècles après, un véritable bain de jouvence. A mi-chemin entre l'histoire des sciences et l'analyse littéraire, un essai original et très fouillé (notes et références) sur un thème hélas toujours actuel : le fossé entre les « deux cultures ».
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Du héros à la victime : la métamorphose contemporaine du sacré
François Azouvi
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 21 Mars 2024
- 9782072947018
Autour des années soixante et soixante-dix du siècle dernier, un bouleversement anthropologique s'est produit en France et dans la plupart des sociétés occidentales : le modèle du héros qui prévalait jusqu'alors et dictait nos comportements a cédé la place au modèle de la victime. Que nous ne soyons désormais plus requis de nous comporter en héros mais invités à nous constituer en victimes, c'est un fait dont on convient généralement. Mais on ne s'était pas jusqu'à présent interrogé sur les raisons et les modalités de cette mutation. François Azouvi reconduit l'émergence de la société des victimes à une autre transformation, d'immense portée : le retrait du religieux dans sa forme institutionnelle. La victime a pu ainsi être sacralisée au point d'incarner, dans nos sociétés sécularisées, le Vrai et le Bien. Son règne marque la métamorphose du religieux en sacré. Pour retracer cette histoire, François Azouvi suit le trajet et les mutations de l'héroïsme depuis son apogée, en 1914, jusqu'à son effacement progressif et son remplacement par le modèle victimaire. Son enquête nous mène aux formes tout à fait contemporaines que ce modèle revêt aujourd'hui, dans une société morcelée par les irrémédiables compétitions auxquelles les victimes se livrent entre elles.
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Le vol de l'histoire ; comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde
Jack Goody
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 14 Octobre 2010
- 9782070122387
Une fois encore, comme hier à propos de la famille en Europe ou de la place de l'écriture dans notre civilisation, Jack Goody vient perturber la ronde des historiens emportés par leurs certitudes. À la question soulevée par l'anthropologue britannique, on devine déjà ce qu'argueront les esprits chagrinés par cette interpellation d'exigence:comparaison n'est pas raison. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. La question? C'est le «vol de l'histoire», c'est-à-dire la mainmise de l'Occident sur l'histoire du reste du monde. À partir d'événements qui se sont produits à son échelle provinciale, l'Europe a conceptualisé et fabriqué une représentation du passé toute à sa gloire et qu'elle a ensuite imposée au cours des autres civilisations. Le continent européen revendique l'invention de la démocratie, du féodalisme, du capitalisme de marché, de la liberté, de l'individualisme, voire de l'amour, courtois notamment, qui serait le fruit de sa modernisation urbaine. Plusieurs années passées en Afrique, particulièrement au Ghana, conduisent Jack Goody à mettre aujourd'hui en doute nombre d'«inventions» auxquelles les Européens prétendent, sous les plumes de Fernand Braudel, Joseph Needham ou Norbert Elias notamment, alors que ces mêmes éléments se retrouvent dans bien d'autres sociétés, du moins à l'état embryonnaire. Économiquement et intellectuellement parlant, seul un écart relativement récent et temporaire sépare l'Occident de l'Orient ou de l'Afrique. Des différences existent. Mais c'est d'une comparaison plus rapprochée que nous avons besoin, et non d'une opposition tranchée entre le monde et l'Occident, au seul profit de ce dernier.
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Espace public et démocratie délibérative : un tournant
Jürgen Habermas
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 16 Février 2023
- 9782073012289
Dans L'espace public (1962) Jürgen Habermas montrait comment à partir du XVIII? siècle le principe de Publicité avait défini un nouvel espace politique au sein duquel s'opérait une médiation entre la société et l'État, sous la forme d'une «opinion publique» qui visait à transformer la nature de la domination. À travers les discussions publiques ayant pour objet des questions d'intérêt général, l'autorité politique était soumise au tribunal d'une critique rationnelle. Mais bientôt, à l'heure des démocraties de masse, Habermas constatait (en 1990) que l'interpénétration des domaines privé et public conduisait à une manipulation de la Publicité par des groupes d'intérêts et à un singulier désamorçage de ses fonctions critiques subverties en un principe d'intégration. Aujourd'hui, Habermas radicalise son analyse. Les réseaux sociaux effacent pour certains de leurs utilisateurs la délimitation constitutive entre sphère privée et sphère publique : chacun peut parler individuellement comme auteur d'une parole publique. Si dans l'espace public traditionnel, il fallait, pour devenir un tel auteur, se soumettre à la médiation des médias qui mesuraient la vérité, la rationalité et la cohérence logique de la parole, avec les réseaux sociaux la position d'auteur est immédiatement acquise pour chacun. Cette publicité immédiate de la parole intime et privée conduit à l'érosion des critères de rationalité. «Maintenir une structure médiatique permettant à l'espace public de rester un espace inclusif et permettant à la formation de l'opinion et de la volonté publiques de conserver son caractère délibératif ne relève donc absolument pas du simple choix politique : il s'agit d'un impératif proprement constitutionnel.»
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Le large écho qu'a rencontré cet ouvrage depuis sa publication tient à la thématique «foi et savoir » comme chaîne sur laquelle se trame une histoire de la philosophie. Habermas rompt avec l'habitude de «sauter», au motif qu'ils seraient inessentiels, les processus d'apprentissage à l'oeuvre au cours des mille années de discussions entre théologiens chrétiens et juifs, mais aussi musulmans, tous formés à la philosophie - comme si la philosophie grecque faisant autorité n'avait trouvé un prolongement scientifique qu'avec l'humanisme des débuts de la modernité. Les processus de traduction réciproques qui se sont déroulés entre les doctrines bibliques et la philosophie grecque ont eu pour résultat la théologie chrétienne et la pensée philosophique moderne. Cette «osmose conceptuelle» a continué de se dérouler au fil des siècles, y compris sous les prémisses d'une pensée séculière, voire, pour ce qui est du Jeune-hégélianisme, sous des auspices polémiquement athées. Cela vaut avant tout pour les concepts fondamentaux du droit de la raison et de la morale de la raison, pour la thématique de la liberté rationnelle, ainsi que pour l'ontologie nominaliste qui prépara le cadre conceptuel fondamental des sciences naturelles modernes et des éthiques empiristes. Le fil de la discussion sur la foi et le savoir explique pourquoi les éthiques respectives de Kant et de Hume ont forgé jusqu'à nos jours des traditions qui rivalisent entre elles sans pouvoir se réconcilier. En effet, la philosophie post-métaphysique se ramifie à l'endroit précis où les questionnements de Kant sont soit assimilés par ses successeurs et raffinés par eux, soit abandonnés au bénéfice des approches empiristes. Ces deux traditions qui se sont toutefois mutuellement fécondées apportent des réponses différentes mais complémentaires à la question de la conception appropriée que la philosophie doit se faire d'elle-même en tant que discipline professionnelle. Le tome premier d'Une histoire de la philosophie : La constellation occidentale de la foi et du savoir a paru dans la même collection (2021).
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Une histoire de la philosophie Tome 1 : la constellation occidentale de la foi et du savoir
Jürgen Habermas
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 21 Octobre 2021
- 9782072894558
Depuis l'apparition du platonisme chrétien dans l'empire romain, la discussion sur la foi et le savoir a façonné le développement ultérieur de l'héritage philosophique des Grecs. Dans cette discussion Jürgen Habermas trouve le fil directeur de sa généalogie d'une pensée postmétaphysique. Il montre comment la philosophie - en parallèle à la formation d'une dogmatique chrétienne dans les concepts philosophiques - s'est pour sa part approprié des contenus essentiels issus des traditions religieuses et s'est transformée en un savoir capable de fondation. C'est précisément à cette osmose sémantique que la pensée séculière qui succéda à Kant et à Hegel doit la thématique de la liberté rationnelle et les concepts fondamentaux de la philosophie pratique qui, jusqu'à aujourd'hui, se sont révélés déterminants. Alors que la cosmologie grecque a été déracinée, les contenus sémantiques d'origine biblique ont été transférés dans les concepts fondamentaux de la pensée postmétaphysique.L'histoire de la philosophie peut être aussi envisagée comme une succession irrégulière de processus d'apprentissage provoqués de façon contingente. Une telle «généalogie» non seulement met en évidence ces contingences, mais elle met en lumière la nécessité d'un concept compréhensif de raison et la conception que la pensée philosophique se fait d'elle-même à l'aune de ce concept. Habermas élabore une conception dialectique de l'émancipation de la science par rapport à la théologie et du savoir par rapport à la foi. Et il encourage l'instauration d'une relation dialogique vis-à-vis de toutes les traditions religieuses. La pensée postmétaphysique se situe entre sciences et religion.
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En France, tout ce qui pèse et qui compte se veut et se dit « sans frontières ». Et si le sansfrontiérisme était un leurre, une fuite, une lâcheté ? Partout sur la mappemonde, et contre toute attente, se creusent ou renaissent de nouvelles et d'anciennes frontières. Telle est la réalité. En bon Européen, je choisis de célébrer ce que d'autres déplorent : la frontière comme vaccin contre l'épidémie des murs, remède à l'indifférence et sauvegarde du vivant. D'où ce Manifeste à rebrousse-poil, qui étonne et détone, mais qui, déchiffrant notre passé, ose faire face à l'avenir.
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État secret, État clandestin : Essai sur la transparence démocratique
Sébastien-Yves Laurent
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 22 Février 2024
- 9782070145737
Nous semblons vivre à une époque où tout finit par se savoir depuis qu'en 2013 un employé de l'agence de renseignement technique des États-Unis, Edward Snowden, révéla un authentique «secret d'État» : la collecte par les États-Unis de dizaines de millions de communications échangées dans le monde. Depuis lors en tous domaines des documents secrets ont été l'objet de fuites, laissant croire que la notion de secret d'État n'existe plus. L'État aujourd'hui serait-il désormais un État transparent, dépouillé de ses mystères ? Sébastien-Yves Laurent, dans cet ouvrage profondément original, déjoue les leurres. Dès ses commencements, l'État eut des raisons que la raison commune ignorait : la Raison d'État autorisait des agissements diplomatiques, policiers ou militaires dont le secret était la garantie du succès. Vint le libéralisme politique au XVIII? siècle, porteur des droits de l'individu et des ferments de la démocratie grâce à la publicité, ici étudiée dans trois pays : Angleterre, États-Unis et France. Le secret fut néanmoins reconnu comme nécessaire au fonctionnement de l'État, mais institutionnalisé en services, budgets, voire commissions parlementaires d'enquête. L'État secret, légalisé, était né. Vint au tournant de notre siècle le néo-libéralisme qui, doutant de l'efficacité du public face au privé, imposa l'idéologie de la transparence de l'action publique. Alors, le secret démocratique fut mis en cause et se créa dans l'ombre un État clandestin, acteur de liquidations physiques, déstabilisations dans l'univers numérique, emprisonnements extra-légaux. La démocratie en est fragilisée durablement. C'est pourtant notre monde.
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Les guerres lointaines de la paix : civilisation et barbarie depuis le XIXe siècle
Sylvain Venayre
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 19 Janvier 2023
- 9782070179947
Il y avait eu la guerre de Cent Ans et la guerre de Trente Ans et la guerre de Sept Ans. Il y avait eu les guerres de Religion, celles de Louis XIV et celles de la Révolution. Mais, après 1815, un moment insolite avait commencé pour l'Europe : une paix de cent ans. Des guerres de la Révolution et de l'Empire à la Première Guerre mondiale, il y eut bien quelques batailles - Sébastopol, Solferino, Sadowa, Sedan -, mais rien qui n'égalât ce qui se passait en d'autres lieux du monde, de la guerre de Sécession aux États-Unis à cette révolte des Taiping qui fit en Chine peut-être vingt millions de morts. Pendant un siècle, la plupart des hommes et des femmes qui vécurent sur le sol de l'Europe ne connurent pas la guerre. Le XIX? siècle à leurs yeux passait pour un siècle de paix. Pour les historiens, il est devenu pourtant difficile de le considérer comme tel. Les guerres étaient lointaines, mais elles étaient bien là. Les Espagnols en Amérique du Sud, au Maroc, à Cuba, aux Philippines ; les Hollandais en Indonésie ; les Britanniques aux Indes, en Afghanistan, en Birmanie, en Afrique du Sud, en Chine, en Nouvelle-Zélande, sur les côtes occidentales de l'Afrique, dans le golfe Arabo-Persique, en Abyssinie, en Égypte, au Soudan ; les Français en Algérie, en Afrique de l'Ouest, au Mexique, en Indochine, en Tunisie, à Madagascar, au Maroc ; les Portugais en Angola et au Mozambique ; les Allemands au Togo, au Cameroun, dans le Sud-Ouest africain, au Tanganyika ; les Italiens dans la corne de l'Afrique et en Tripolitaine. Ces guerres lointaines d'une Europe en paix donnèrent lieu, dès leur époque, à de très vifs débats. L'avènement des journaux quotidiens, l'apparition des correspondants de guerre, la mise en place du réseau télégraphique, l'invention de l'illustration et de la photographie, le triomphe du roman, l'immense succès du théâtre et des expositions universelles bouleversèrent leurs représentations. Elles ont fait de nous, bien avant les guerres mondiales du XX? siècle, les spectateurs fascinés et velléitaires des souffrances des autres.
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La République ? quelles valeurs ? essai sur un nouvel intégrisme politique
Jean-Fabien Spitz
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 8 Septembre 2022
- 9782072975974
La République est devenue un mantra du discours politique en France. Réduite à un universalisme de façade et à une laïcité entièrement falsifiée, elle n'est plus utilisée que pour dissimuler la réalité des fractures et pour tenter de combler le déficit croissant de légitimité auquel se heurte une régulation sociale qui laisse proliférer l'inégalité et précarise les existences.On oublie ainsi le sens premier du projet républicain : créer une société qui soit la chose de tous, une société dont la légitimité tient à sa capacité à instituer et à entretenir entre les citoyens des rapports d'indépendance mutuelle et de non-domination. Mais à l'âge du capitalisme avancé cette égalité ne peut plus reposer seulement sur celle des droits personnels ; elle exige des droits sociaux solides et efficaces qui garantissent à chacun les bases d'une existence autonome : droit à la santé, à l'éducation, au logement, à un emploi et à un revenu décents.À l'égalité des indépendances qui suppose la maîtrise des intérêts particuliers, les nouveaux intégristes substituent une forme imaginaire de subordination du privé au public : l'égalité abstraite devant la loi, l'aveuglement aux différences et aux formes de domination qui les accompagnent. Désormais, la définition culturelle de la République par l'effacement des différences identitaires remplace la définition sociale de la République. Cela revient à nier que, dans une société complexe, une telle égalité ne peut être atteinte que par la reconnaissance des obstacles spécifiques auxquels les individus sont confrontés.
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L'avenir de la nature humaine ; vers un eugénisme libéral ?
Jürgen Habermas
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 27 Novembre 2002
- 9782070765317
Face aux progrès des biosciences, au développement des biotechnologies, au déchiffrement du génome, le philosophe ne peut plus se contenter des déplorations sur l'homme dominé par la technique. Les réalités sont là, qui exigent de lui qu'il les pense à bras-le-corps. Désormais, la réponse que l'éthique occidentale apportait à la vieille question «Quelle vie faut-il mener ?» : «pouvoir être soi-même», est remise en cause. Ce qui était jusqu'ici «donné» comme nature organique par la reproduction sexuée et pouvait être éventuellement «cultivé» par l'individu au cours de son existence est, en effet, l'objet potentiel de programmation et de manipulation intentionnelles de la part d'autres personnes. Cette possibilité, nouvelle à tous les plans : ontologique, anthropologique, philosophique, politique, qui nous est donnée d'intervenir sur le génome humain, voulons-nous la considérer comme un accroissement de liberté qui requiert d'être réglementé, ou comme une autorisation que l'on s'octroie de procéder à des transformations préférentielles qui n'exigent aucune autolimitation ? Trancher cette question fondamentale en la seule faveur de la première solution permet alors de débattre des limites dans lesquelles contenir un eugénisme négatif, visant sans ambiguïté à épargner le développement de certaines malformations graves. Et de préserver par là même la compréhension moderne de la liberté.
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Apologie du livre ; demain, aujourd'hui, hier
Robert Darnton
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 5 Janvier 2011
- 9782070128464
Voici venu le temps des petits prophètes. Ils susurrent que le papier est voué à disparaître, ils se réjouissent de la mort du livre, qui les dispense, croient-ils, d'en lire, ils clament l'avènement du tout numérique et de sa révolution. Mais l'univers des prophéties est loin de notre monde réel. Robert Darnton met en parallèle les moyens électroniques de communication avec la puissance libérée par Gutenberg voilà plus de cinq siècles, il en évalue les effets anthropologiques sur la lecture, il mesure les avantages mutuels qui lient bibliothèques et Internet, il examine enfin nombre de problèmes d'ordre pratique, c'est-à-dire culturels, par exemple, pourquoi maintenir les acquisitions de livres imprimés tout en accroissant la place faite au numérique, support désormais privilégié par les jeunes générations? Comment légitimer les monographies numériques aux yeux des conservateurs pour qui un livre ne peut exister que sous forme imprimée ? Par quel paradoxe la bibliothèque, en apparence la plus archaïque des institutions, est, du fait de sa position au coeur du monde du savoir, l'intermédiaire idéal entre les modes de communication imprimés et numériques ? Chemin faisant, le lecteur découvre comment le livre met en forme la matière du monde, combien les processus de transmission modifient les textes mêmes, pourquoi le papier n'est pas entièrement remplaçable par le fichier numérique, que Shakespeare prouve la nécessité de conserver plus d'un exemplaire d'un livre, et ce que serait une République numérique des Lettres. Robert Darnton signe ici un livre non pas d'oraison, mais de raison gardée.
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La fabrique du sexe ; essai sur le corps et le genre en Occident
Thomas Laqueur
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 10 Avril 1992
- 9782070725991
L'Occident n'a cessé depuis les origines de s'interroger sur la différence des sexes. Mais parle-t-on de l'homme et de la femme que l'on a encore rien dit : se réfère-t-on au genre - définition culturelle par des qualités morales, affectives, sociales... - ou au sexe - définition par des spécificités anatomiques ? Jamais, en effet, les deux notions ne se recouvrirent. Dès l'Antiquité, Aristote, par la définition de l'ordre des êtres, et Galien, par la définition du corpus anatomique, fondent le modèle du sexe unique, qui sera dominant jusqu'au XVIII? siècle, et dans lequel le genre définit le sexe. Au XVIII? siècle, émerge l'autre modèle de la différence sexuelle : le modèle des deux sexes, dans lequel, au contraire du premier, le sexe définit le genre : parce que, au niveau de l'anatomie comme de la physiologie, femmes et hommes sont incommensurablement différents, les genres définissent dès lors qualités, vertus et rôles selon des racines biologiques. Ces deux modèles, toutefois, ne se succèdent pas dans une histoire linéaire : dès le XVI? siècle, des auteurs posaient l'irréductible différence anatomique ; au XX? siècle encore, d'autres - tel Freud - pensent la sexualité selon le modèle du sexe unique... Les deux modèles coexistent dans le temps ; si leur prégnance sur les esprits peut être liée à des évolutions générales - économiques, culturelles, sociales - elle ne peut en aucun cas être strictement expliquée par celles-ci, et moins encore par les progrès de la connaissance anatomique qui se moulent le plus souvent dans les représentations dictées par chacun de ces modèles...
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La place du spectateur ; esthétique et origines de la peinture moderne
Michael Fried
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 19 Septembre 1990
- 9782070718658
De quand date la peinture moderne ? De David, de Manet, de Cézanne, dira-t-on ; les candidats à l'acte fondateur ne manquent pas. Michael Fried pose autrement le problème. Moins qu'aux grandes individualités, c'est à ce qu'elles eurent en commun que l'auteur s'intéresse : le courant nouveau de figuration qui très vite devint la tradition moderne et auquel ces peintres participèrent ou s'opposèrent. Cette tradition naît au XVIII? siècle avec la critique d'art - notamment Diderot - et celle-ci formule une interrogation : quelle place le tableau doit-il réserver au spectateur ? De Greuze à David, la peinture refuse la théâtralité. Michael Fried montre les deux moyens que Diderot expose pour combattre la fausseté de la représentation et la théâtralité de la figuration : une conception dramatique de la peinture , qui recourt à tous les procédés possibles pour fermer le tableau à la présence du spectateur, et une conception pastorale qui à l'inverse, absorbe quasi littéralement le spectateur dans le tableau en l'y faisant pénétrer. Ces deux conceptions se conjuguent pour nier la présence du spectateur devant le tableau et mettre cette négation au principe de la représentation.
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"l'art, c'est bien fini" : essai sur l'hyper-esthétique et les atmosphères
Yves Michaud
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 30 Septembre 2021
- 9782070749980
On doit à Yves Michaud une analyse fondamentale de l'évolution contemporaine de l'Art.Dans le domaine des arts visuels qu'on appelle Art, nous sommes passés d'oeuvres (traditionnellement tableaux et sculptures) à des installations, des environnements, des dispositifs multimédias qui enveloppent le spectateur dans des expériences multi-sensorielles. Telle est la «vaporisation de l'art», son passage à l'état gazeux.La seconde évolution, que décrit cet ouvrage, «le triomphe de l'esthétique », c'est le mouvement d'esthétisation générale de nos milieux de vie.Il faut que tout soit «luxe, calme et volupté», plaisant, charmant, lisse, agréable, ou encore excitant, intéressant dans le registre couramment appelé «esthétique».L'apparition au cours du XVIII? siècle du concept d'esthétique fut indissociable du changement des expériences que donnaient les arts et de nouvelles formes de la sensibilité.Il en va de même aujourd'hui.L'expérience esthétique a changé : de frontale elle est devenue atmosphérique et se fait sous le signe du plaisir, du sensible et de l'éprouvé.Nous sommes en présence d'une révolution sensible qui rend indispensable une révolution dans «la théorie esthétique», mais la révolution de la sensibilité hyper-esthétique est encore plus importante que celle de la théorie.Le monde des atmosphères n'est plus celui de la perception esthétique.Le monde du Grand Art est mort et bien mort.
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Vivre pauvre : quelques enseignements tirés de l'Europe des Lumières
Laurence Fontaine
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 6 Octobre 2022
- 9782072953385
Dans l'Europe d'Ancien Régime la pauvreté est endémique. Elle est tout à la fois un risque conjoncturel (auquel on répond par la culture des terres communes, la pluriactivité de toute une famille mise au travail, les engagements de biens au mont-de-piété contre de microcrédits ou la migration saisonnière de métier), un état structurel (auquel on espère échapper par les déménagements constants, la contrebande et le vagabondage, l'illégalité et la mendicité) et une exclusion (qui conduit à l'abandon des enfants ou à la prostitution).La massivité du phénomène induit de la part des autorités des réponses dont la diversité va de la peur devant ces miséreux, qu'il convient d'enfermer dans des institutions qui les mettraient au travail pour leur redressement moral, à la dénonciation des insupportables inégalités sociales et économiques qui retranchent de l'humanité commune des individus qui ne demandent que leurs droits.En 1777 l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons-sur-Marne met au concours la question des «moyens de détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l'État sans les rendre malheureux». Jamais aucun concours n'a attiré autant de participants:cent vingt-cinq mémoires sont envoyés; ils constituent la meilleure introduction aux débats d'alors sur la pauvreté et aux questions qui agitent les élites. S'y esquissent nos questions d'aujourd'hui:comment parler des pauvres? De l'inégalité? Des dominés de la famille patriarcale? De la charité, avec sa variante moderne de la philanthropie, et de l'impôt? De l'accès au marché des plus démunis devenus des défavorisés? De leur liberté de choix? De l'appartenance des pauvres à la société des citoyens? De leur mise en capacité de prendre leur destin en main?Rarement, en histoire sociale, un siècle passé apporte autant de lumières sur nos défis les plus contemporains.
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Entre globalisme et démocratie : l'économie politique à l'âge du néolibéralisme finissant
Wolfgang Streeck
- GALLIMARD
- Nrf Essais
- 20 Avril 2023
- 9782072973352
Nos sociétés et leurs vies publique et économique se trouvent aujourd'hui prises entre deux feux : une mondialisation néolibérale enlisée et les résistances forcenées, dites «populistes», des peuples qui souffrent directement des effets de cette mondialisation. Comment sortir de cette impasse ? Le globalisme est conçu pour que le marché, désenclavé de toute autre institution sociale et politique, soit l'unique autorégulateur de la vie humaine. Pour ce faire, il est proposé à tous les peuples une «gouvernance globale», indifférente aux conditions historiques et culturelles des sociétés, et qui concentrerait le pouvoir entre les mains d'une élite mondialisée et occupée à empêcher que se manifestent les libres choix des citoyens. Streeck montre que l'enchâssement social des marchés dans une politique démocratique dépend de l'enchâssement des États dans une architecture internationale respectant leur souveraineté, et donc pluraliste. Ainsi l'ordre européen post-néolibéral serait interétatique et privilégierait la coopération horizontale en lieu et place d'une autorité verticale ; il serait un ordre confédéral et non impérial, il mettrait à profit les structures institutionnelles héritées des États nationaux pour affranchir les sociétés de leur assujettissement aux impératifs du marché global. C'est ainsi qu'entre en jeu la question de l'État et que la politique fait retour dans l'économie politique.