«Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle".
En moins de deux cents pages vibrantes de vie, de lucidité implacable et d'amour, Edith Bruck revient sur son destin : de son enfance hongroise à son crépuscule. Tout commence dans un petit village où la communauté juive à laquelle sa famille nombreuse appartient est persécutée avant d'être fauchée par la déportation nazie. L'auteur raconte sa miraculeuse survie dans plusieurs camps de concentration et son difficile retour à la vie en Hongrie, en Tchécoslovaquie, puis en Israël. Elle n'a que seize ans quand elle retrouve le monde des vivants. Elle commence une existence aventureuse, traversée d'espoirs, de désillusions, d'éclairs sentimentaux, de débuts artistiques dans des cabarets à travers l'Europe et l'Orient, et enfin, à vingt-trois ans, trouve refuge en Italie, se sentant chargée du devoir de mémoire, à l'image de son ami Primo Levi.
"Pitié, oui, envers n'importe qui, haine jamais, c'est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre."
Un père et son fils traversent l'Argentine par la route, comme en fuite. Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ? Le petit garçon s'appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d'un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d'une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.
Alternant les points de vue, les lieux et les époques, leur périple nous conduit de la dictature militaire argentine des années 1980 au Londres psychédélique des années 1970, d'une évocation du sida à David Bowie, de monstres effrayants en sacrifices humains. Authentique épopée à travers le temps et le monde, où l'Histoire et le fantastique se conjuguent dans une même poésie de l'horreur et du gothique, Notre part de nuit est un grand livre, d'une puissance, d'un souffle et d'une originalité renversants. Mariana Enriquez repousse les limites du roman et impose sa voix magistrale, quelque part entre Silvina Ocampo, Cormac McCarthy et Stephen King.
«Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps».
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature.
Peuplées d'adolescentes rebelles, d'étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l'horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d'une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l'âme humaine, explorant de son écriture à l'extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
Dans une grande ville d'un pays en guerre, un spécialiste de l'interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office.
La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes.
Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve - ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. Le colonel, tortionnaire torturé. L'ordonnance, en silence et en retrait. Et, dans un grand palais vide, un général qui devient fou.
Le colonel ne dort pas est un livre d'une grande force. Un roman étrange et beau sur la guerre et ce qu'elle fait aux hommes.
On pense au Désert des Tartares de Dino Buzzati dans cette guerre qui est là mais ne vient pas, ou ne vient plus - à l'ennemi invisible et la vacuité des ordres. Mais aussi aux Quatre soldats de Hubert Mingarelli.
«Je suis arrivé par la douleur à la joie», écrit le poète José Hierro.
De chambres d'hôtel en aéroports, assailli par une profusion de souvenirs, Manuel Vilas poursuit la mise à nu de son narrateur. Il orchestre la symphonie de la mémoire et enrichit son tableau de nouveaux motifs comme celui de l'allégresse. Toujours entouré de ses musiciens, ombres de son passé, en dialogue incessant avec les doubles de ses fantômes, auxquels il ajoute Arnold (pour Schönberg), sa part sombre, son ange de la dépression. Le passé coule partout, vague sans cesse rabattue, il est dans les machines à presser les oranges, dans les chemises jamais assez blanches, dans les cours d'eau, comme sous le sol que l'on foule.
«La joie venait toujours après la peine», chante Apollinaire, Alegría tend résolument du côté de la lumière et Manuel Vilas offre, après Ordesa, un grand livre solaire. Son audace littéraire et sa capacité à transfigurer l'intime en universel le désignent comme un de nos écrivains contemporains majeurs.
«Mon coeur ressemble à un arbre noir couvert d'oiseaux jaunes qui piaillent et me perforent la chair.» Tel est l'autoportrait brut et sans tabou d'un écrivain confronté à la disparition de ses parents. Assailli par les fantômes de son passé, il retrouve espoir dans le souvenir baigné de lumière jaune de leur amour et de la beauté d'antan. À travers l'évocation d'une famille modeste, c'est alors la peinture d'une certaine Espagne qui se révèle à nous dans toute sa complexité. L'appartenance à une classe sociale, l'éducation, l'alcoolisme ou encore la paternité sont autant de sujets traités ainsi de façon personnelle et collective à la fois.
Profondément sincère, bruyamment intime, merveilleusement écrit dans une langue à la fois poétique et crue, Ordesa se lit comme la catharsis d'un deuil impossible, celui de la mort de nos parents et de la fin d'une époque, une expérience pour le moins universelle.
Phénomène de librairie en Espagne, Ordesa a été désigné Meilleur livre de l'année par les grands quotidiens El País et El Mundo, imposant Manuel Vilas comme un écrivain majeur de la littérature espagnole.
«Voici l'album, les archives, la mémoire sans mensonges ni consolation d'une vie, d'une époque, d'une famille, d'une classe sociale condamnée à tant d'efforts pour obtenir si peu. Il faut beaucoup de précision pour dire ces choses, un acide, un couteau aiguisé, une aiguille assez fine pour faire éclater le ballon de la vanité. Ce qui reste à la fin, c'est l'émotion propre de la vérité et la détresse devant tout ce qui a été perdu.» Antonio Muñoz Molina «Un livre magnifique, courageux et bouleversant»
Comme souvent dans les récits de David Grann, un homme est dévoré par son idéal.
Ce personnage d'un autre temps sorti tout droit d'un film de Werner Herzog, se nomme Henry Worsley. The White Darkness raconte son extraordinaire histoire. Celle d'un militaire britannique fasciné par l'exemple d'Ernest Shackleton (1874-1922) et par ses expéditions polaires ; un homme excentrique, généreux, d'une volonté exceptionnelle, qui réussira ce que Shackleton avait raté un siècle plus tôt : relier à pied une extrémité du continent à l'autre. Une fois à la retraite, il tentera d'aller encore plus loin en traversant l'Antarctique seul, sans assistance.
Il abandonne tout près du but, dans un état de santé tel qu'il meurt quelques heures après son sauvetage. Édifiant destin d'un homme perdu par une quête d'impossible, qui n'est pas sans rappeler Percy Fawcett, autre explorateur guidé par une obsession, dont David Grann avait conté l'histoire dans La Cité perdue de Z.
«Tout le monde a son Antarctique», a écrit Thomas Pynchon, rien n'est moins vrai dans ce récit magnifique qu'on ne peut lâcher avant de l'avoir accompagné à son terme.
Une épopée versifiée, imaginée comme une exploration du monde par les actions, les gestes, les aventures.
La narratrice vit des scènes et des idées, dans son esprit et en dehors, à toute allure. Elle est tour à tour et à la fois : folle, amoureuse, malade, sage, inquiète, calmée.
Un livre comme une encyclopédie incarnée, libre et subjective, une lecture et une auscultation du monde, allant des plus petites choses : la peau, les insectes, les atomes ; aux plus larges : les populations humaines, la guerre, les ciels. Des choses les plus intérieures : les sensations, les questionnements propres ; aux plus matérielles : la médecine, l'anatomie, l'architecture.
Une foi dans le langage rendu à sa force et à sa netteté, à ses trouvailles «brisant les verrous des choses», un vif désespoir éclatant, un humour et une vivacité, un livre aussi réjouissant que troublant.
Après La Semaine perpétuelle (Éditions du sous-sol, mention spéciale du jury prix Wepler 2021) et son anthologie Vous êtes de moins en moins réels (Points, 2022), Laura Vazquez creuse une différence, un courage.
Les Argonautes, c'est d'abord une histoire d'amour. Deux êtres qui se rencontrent et tombent éperdument amoureux. Leur amour grandit, leurs deux corps se transforment, et avec leurs mutations d'autres grandes questions résonnent : qu'est-ce que la maternité ? Comment se construit le genre ? Comment vivre et penser la marge en construisant une famille ?
À la lisière de l'essai et de l'autofiction, Les Argonautes est à la fois amusant et indigné, souvent emporté, toujours brillant. Maggie Nelson nous y présente les penseurs qui l'ont aidée à vivre, Judith Butler, Susan Sontag, Gilles Deleuze ou Roland Barthes. Elle parvient à mêler histoire intime et réflexion, livrant un texte à nul autre pareil, brillant et solaire. Au fil de ses lectures, elle nous emmène en Floride sur la plage, au cabaret burlesque, dans une université de New York, dans le bureau d'un shérif en Californie, à la très kitsch chapelle de Hollywood... Et surtout, elle s'assure que nous ne verrons plus jamais de la même façon le mystère de la fabrication d'un corps par un autre.
«Regarder les autres pour éviter de se regarder soi-même».
L'auteur est atteint d'un psoriasis chronique, qui remplit son corps de plaques et dont les démangeaisons l'obligent à se gratter jusqu'au sang, mais il n'est pas le seul. Joseph Staline, John Updike, Vladimir Nabokov ou encore Pablo Escobar sont, ou ont été, eux aussi atteints de cette maladie. L'auteur fait entrer, au cours de son récit, interrompant ses propres souvenirs, ces personnages, racontant leur histoire et dressant ainsi une galerie des monstres, selon ses propres mots. Le racisme et l'oeil que la société porte sur les malades sont également des étapes de ce voyage aux confins d'un territoire à la fois commun et privé par essence : la peau. Des vies conditionnées par la fatalité, des secrets que nous recouvrons de vêtements et qui font de notre peau une frontière avec le monde. Un texte inclassable à la lisière de l'essai et du roman, réflexion profonde et sensible où l'intime rejoint le collectif.
«Comme s'il y avait quelque chose au-delà d'un baiser. Il n'y a rien».
Le baiser qui scelle l'histoire d'amour aussi brûlante qu'inattendue entre Salvador et Montserrat surgit en pleine pandémie, dans une cabane au milieu des bois où s'est réfugié Salvador, un professeur de 58 ans. Il a rencontré la belle et sauvage Montserrat au village voisin, où elle tient la seule épicerie du coin. Nous sommes en mars 2020, Salvador relit Don Quichotte à l'aune de ce sentiment d'absolu, cette passion dévorante qui le lie à Montserrat, son Altisidore inespérée, et qui apparaît comme un acte de résistance à l'heure de l'isolement forcé. Jusqu'à ce que ressurgisse inévitablement le passé de chacun, à mesure que s'installe la routine des deux amants.
Les Baisers est un grand roman d'amour, tendre et sensuel, drôle souvent, dramatique, où l'intimité des personnages résonne singulièrement avec la nôtre. La peau des amants, leur désir charnel, leurs baisers, y apparaissent aussi palpables que nécessaires. C'est enfin une réflexion sur la façon dont, en pleine crise mondiale, deux êtres humains tentent de retrouver du sens.
Le père rêve d'une éponge qui lave le passé.
La mère est partie, il dit qu'elle n'existe plus.
Sorti du monde, le fils poste des vidéos sur Internet et il écrit des poèmes.
La fille ne supporte pas la réalité trop proche et toutes ces personnes qui avancent avec leurs millions de détails.
La grand-mère entend les clignements et les soupirs de chaque moustique.
Tout ce qui leur arrive est dans l'ordre du monde.
La Semaine perpétuelle est d'abord un livre sur les gens d'Internet. Écriture animiste, où toutes les choses du monde peuvent parler - où le monde est possédé. Un livre à la vivacité poétique frappante, la découverte d'une voix.
Quand son esprit monte au plafond, elle se regarde, elle se voit dans le lit, et la grand-mère ajoute un ciel sur chaque chose. Elle regarde les objets, elle fait le tour de la pièce, elle ajoute un ciel pour chaque meuble, un ciel sur la télé, un ciel sur des bouts de pain, un ciel sur les yaourts, un ciel par couverture, un ciel sur le plancher, un ciel sur le gymnase, un ciel sur chaque enfant, Salim, Sara, un ciel sur chaque tête, et un ciel sur chacune de leurs dents, un ciel sur leur front, un ciel sur chaque mèche et tout devient léger.
Après avoir étudié les liens troubles de l'enquêteur et de son sujet dans l'éblouissant Journaliste et l'assassin, Janet Malcolm, figure emblématique de la littérature du réel, propose dans La Femme silencieuse une méditation sur l'art de la biographie.
Au travers de la relation du couple Ted Hughes et Sylvia Plath, et des tentatives biographiques dont ils ont fait l'objet, elle décrypte les vies racontées de la poétesse afin d'écrire non pas sur la vie tragique d'une artiste mais plutôt sur le devenir posthume de son oeuvre, et la façon dont se raconte son histoire. Elle examine la relation ambiguë entre Sylvia Plath et son mari, le poète Ted Hughes qui, en tant qu'exécuteur testamentaire, a tenté de servir deux causes : l'art de son ancienne épouse et son propre besoin d'intimité, et comment il poussa sa propre soeur, Olwyn Hughes à devenir l'agent littéraire de la défunte pour se protéger en limitant l'accès à l'oeuvre de Plath. Cas limite questionnant l'invisibilisation ou l'appropriation dont font l'objet les oeuvres littéraires dès lors qu'elles sont signées d'une femme.
Alors même que Janet Malcolm se montre sceptique quant aux prétentions habituelles des biographies à présenter la vérité sur une vie, se dessine au fil des pages un autre visage de Sylvia Plath, dissipant de fait l'innocence avec laquelle le lecteur aborde une oeuvre autobiographique.
Dès sa première publication, ce brillant essai de critique littéraire a suscité un large écho tant il refonde l'approche biographique et explore avec intelligence et clairvoyance la ligne étroite qui sépare la réalité de la fiction. Le but n'étant pas de savoir qui a raison ou qui a tort, mais de mettre en parallèle toute la complexité des rapports humains en réaction au voyeurisme que laisse sous-entendre le pacte d'un biographe impartial.
Un divorce forcément douloureux, une grande maison victorienne troquée contre un appartement en haut d'une colline dans le nord de Londres, deux filles à élever et des factures qui s'accumulent... Deborah Levy a cinquante ans quand elle décide de tout reconstruire, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d'écrivain. L'occasion pour elle de revenir sur le drame pourtant banal d'une femme qui s'est jetée à corps perdu dans la quête du foyer parfait, un univers qui s'est révélé répondre aux besoins de tous sauf d'elle-même. cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c'est l'histoire de chaque femme confrontée à l'impasse d'une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d'une vie à soi.
Ce livre éblouissant d'intelligence et de clarté, d'esprit et d'humour, pas tant récit que manifeste, ouvre un espace où le passé et le présent coexistent et résonnent dans le fracas incessant d'une destinée. Le Coût de la vie tente de répondre à cette question : que cela signifie-t-il pour une femme de vivre avec des valeurs, avec sens, avec liberté, avec plaisir, avec désir ? La liberté n'est jamais gratuite et quiconque a dû se battre pour être libre en connaît le coût. Marguerite Duras nous dit qu'une écrivaine doit être plus forte que ce qu'elle écrit. Deborah Levy offre en partage cette expérience.
Nous avions quitté Deborah Levy gravissant sur son vélo électrique les collines de Londres et écrivant dans une cabane au fond d'un jardin. Nous la retrouvons, plus impertinente et drôle que jamais, prête à réinventer une nouvelle page de sa vie. Tandis que ses filles prennent leur envol, elle nous emmène aux quatre coins du monde, de New York aux îles Saroniques en passant par Mumbai, Paris ou Berlin, tissant une méditation exaltante et follement intime sur le sens d'une maison et les fantômes qui la hantent.
Entremêlant le passé et le présent, le personnel et le politique, la philosophie et l'histoire littéraire, convoquant Marguerite Duras ou Céline Sciamma, elle interroge avec acidité et humour le sens de la féminité et de la propriété.
Par l'inventaire de ses biens, réels ou imaginaires, elle nous questionne sur notre propre compréhension du patrimoine et de la possession, et sur notre façon de considérer la valeur de la vie intellectuelle et personnelle d'une femme.
Pour être romancière, une femme a besoin d'une chambre à soi, nous disait Virginia Woolf. Deborah Levy complète ce tableau par l'étude d'une demeure pour soi.
Avec État des lieux, qui fait suite à Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie, prix Femina étranger 2020, Deborah Levy clôt son projet d'«autobiographie en mouvement», ou comment écrire sa vie sans mode d'emploi.
Deborah Levy revient sur sa vie. Elle fuit à Majorque pour réfléchir et se retrouver, et pense à l'Afrique du Sud, ce pays qu'elle a quitté, à son enfance, à l'apartheid, à son père - militant de l'ANC emprisonné -, aux oiseaux en cage, et à l'Angleterre, son pays d'adoption. À cette adolescente qu'elle fut, griffonnant son exil sur des serviettes en papier. Telle la marquise Cabrera se délectant du «chocolat magique», elle est devenue écrivaine en lisant Marguerite Duras et Virginia Woolf. En flirtant, sensuelle, avec les mots, qui nous conduisent parfois dans des lieux qu'on ne veut pas revoir. Ce dessin toujours inédit que forme le chemin d'une existence.
Ce que je ne veux pas savoir est une oeuvre littéraire d'une clarté éblouissante et d'un profond secours. Avec esprit et calme, Deborah Levy revient sur ce territoire qu'il faut conquérir pour écrire. Un livre talisman sur la féminité, la dépression, et la littérature comme une opération à coeur ouvert.
Après avoir lu "La lettre à Dieu" qui clôt Le Pain perdu, le pape François décide de rendre visite à Edith Bruck. Cet événement considérable, suivi de plusieurs autres rencontres, est ici raconté sur un ton à la fois tranchant, caustique, ému et poétique. Cette méditation à deux, entre le chef de l'Église catholique et une déportée juive athée, se termine sur l'horreur de la guerre en général et celle de l'Ukraine en particulier. (Olga, l'aide à domicile de l'auteur, toujours présente, est ukrainienne.) Le pape, dans sa préface, souligne l'envergure humaine exceptionnelle d'Edith Bruck et, hanté par la culpabilité de sa communauté quant à la Shoah, situe cette tragédie du xxe siècle sur un plan temporel beaucoup plus vaste, ouvrant vers une réflexion métaphysique.
Le surf ressemble à Un sport, un passe-temps. Pour ses initiés, c'est bien plus : une addiction merveilleuse, une initiation exigeante, un art de vivre. Elevé en Californie et à Hawaï, William Finnegan a commencé le surf enfant. Après l'université, il a traqué les vagues aux quatre coins du monde, errant des îles Fidji à l'Indonésie, des plages bondées de Los Angeles aux déserts australiens, des townships de Johannesburg aux falaises de l'île de Madère. D'un gamin aventureux, passionné de littérature, il devint un écrivain, un reporter de guerre pour le New Yorker. À travers ses mémoires, il dépeint une vie à contre-courant, à la recherche d'une autre voie, au-delà des canons de la réussite, de l'argent et du carriérisme ; et avec une infinie pudeur se dessine le portrait d'un homme qui aura trouvé dans son rapport à l'océan une échappatoire au monde et une source constante d'émerveillement. Ode à l'enfance, à l'amitié et à la famille, Jours Barbares formule une éthique de vie, entre le paradis et l'enfer des vagues, où l'océan apparaît toujours comme un purgatoire. Un livre rare dont on ne ressort pas tout à fait indemne, entre Hell's Angels de Hunter S. Thompson et Into The Wild de Jon Krakauer.
"Si tard dans la journée, personne ne va à Manhattan. Moi si. Je bois une grande cannette de Schlitz, et je fume dans le métro, même. J'ai environ 30 ans, je suis avec ma copine. Tout va bien. Je suis pleine de poèmes".
Dans les années 1970, Eileen Myles a fui l'Amérique catholique et ouvrière pour croquer à pleines dents la vie new-yorkaise : la galère, la poésie, la défonce, l'art - et les filles. De souvenirs d'enfance doux-amers aux virées stupéfiantes au sulfureux Chelsea Hotel, en passant par le feu sacré d'une écriture novatrice, Myles raconte tout, avec une honnêteté et une prose explosives.
Iconoclaste, Eileen Myles compte parmi les poètes vivants les plus célébrés aux États-Unis. Paru en 1994, réédité triomphalement en 2015, Chelsea Girls est aujourd'hui acclamé comme un souffle de liberté littéraire, addictif et magistral. Texte fondateur pour nombre d'artistes contemporains, dont Maggie Nelson, cet inoubliable portrait de l'artiste en jeune queer est enfin traduit en France.
C'est l'histoire de deux jeunes hommes qui n'ont pas trente ans, deux exaltés. L'un a une passion pour la peinture. On le connaît. C'est Auguste Renoir. L'autre a une passion pour l'égalité et il sera le délégué à la police puis le procureur de la Commune de Paris. On le connait à peine. C'est Raoul Rigault.
Leur rencontre doit tout au hasard. La première a lieu dans la forêt de Fontainebleau alors que l'un peint sur le motif et l'autre fuit la police de Napoléon III. Renoir prête une blouse de peintre à Rigault pour lui porter secours et ils passent quelques jours ensemble. Ils marchent sur le chemin des merles, ils partagent des oeufs durs et une fiasque de vin, ils roulent des cigarettes, ils conversent, de tout et rien, des nuages dans le ciel, du régime impérial. Et puis ils rentrent à Paris.
La deuxième rencontre a lieu à la préfecture. Renoir a été arrêté comme espion à la solde des Versaillais, parce qu'il peignait les bords de la Seine. Et, cette fois-ci, c'est Rigault qui lui sauve la mise. Entre deux toiles et deux décrets, ils se revoient de temps à autre, déjeunent, parlent, se baladent dans un Paris chamboulé. Ce sont deux compagnons. L'un peint le monde, l'autre le renverse, chacun aux prises avec sa révolution.
La Peau du dos est un enchantement d'écriture, alerte et joyeux, plein de lumière et de vie. Bernard Chambaz offre un roman splendide, attentif aux aurores et à la splendeur des crépuscules.
Un enfant de junkie disparaît du jour au lendemain dans un ancien quartier cossu de Buenos Aires, livré désormais à la drogue et à la violence. Des jeunes femmes se promettent dans le sang de ne jamais avoir d'amants et sont obsédées par la silhouette fugace d'une adolescente disparue. Adela, amputée d'un bras, aime se faire peur en regardant des films d'horreur jusqu'à en devenir prisonnière. Pablo est hanté par la figure du Petiso Orejudo, un enfant serial killer, alors qu'il vient de devenir père. Un voyage confiné en voiture dans l'humidité du nord se termine sur un malentendu. Marcela, elle, se mutile en pleine salle de classe, au grand désarroi de ses camarades. Vera, un crâne repêché dans la rue, se meut en double dénué de chair d'une femme au bord de la crise de nerfs. Paula, ancienne assistante sociale, se bat avec ses démons et ses hallucinations. Marco, lui, se cache derrière sa porte, mutique, espérant échapper à l'existence, dehors. Sous l'eau noire, des secrets bien gardés par la police sont prêts à ressurgir. Et des femmes, désespérées, s'enflamment pour protester contre la violence. Enriquez n'est pas tendre. Sorte de Julio Cortázar féminine et féministe, elle partage avec l'auteur de Tous les feux l'art de jouer avec les codes du fantastique sans jamais y plonger à corps perdu. Le monstre n'est pas tapi dans les bois : nous sommes les monstres. D'une main de maître, elle dessine avec Ce que nous avons perdu dans le feu un univers romanesque qui flirte avec l'horreur mais sans y sombrer. Mêlant petites histoires et grande Histoire, elle évoque le passé de l'Argentine - ses morts, ses fantômes - par petites touches.
Dans une langue délicate et faussement simple, elle déploie une construction narrative où le suspense et l'humour s'entremêlent pour mieux nous faire rire et frissonner du même coup.
Dans un avenir proche, Haïm Birkner est sur le point d'avoir 108 ans. Il est le plus vieil homme d'Israël, et peut-être le dernier survivant de la Shoah. Alors que l'on propose de le célébrer, Haïm scandalise quand il décide soudain de retourner en Hongrie, dans l'appartement de ses parents qu'il ne s'est jamais résolu à vendre.
Un siècle de souvenirs défile. Les images s'accumulent et se juxtaposent pour composer le roman d'une vie tantôt sincère, tantôt ironique, tantôt tragique, tantôt fantasmée. Juif de Budapest, il se souvient de son enfance, son père, ses mensonges et ses sales affaires, et de ces rouleaux de la Torah qu'ils ont sauvés de la synagogue ; mais aussi de son amour de jeunesse. Il raconte sa fuite du ghetto vers la Palestine dans des circonstances troubles, sauvé mais privé à jamais du statut de victime. Et la vie après : le kibboutz, le mariage, la séparation, les petits boulots, les tricheries, les autres femmes, les nombreuses rencontres, les conflits entre ceux survivants de l'ancien monde et ceux pionniers de l'État d'Israël.
Les Absences de Haïm Birkner est l'histoire inventée et parfois vraie d'un homme las et dévasté, confronté une dernière fois à son passé.
2015, un barman ayant fait voeu de chasteté s'intéresse malgré lui à une cliente qui s'appelle tantôt Oscara, tantôt Fanny ou Cléopâtre. 1999, sous la pluie de bonbons d'une piñata, un adolescent tombe amoureux de sa tante. 1899, au nord des États-Unis, dans un village reculé, un pasteur récite à ses fidèles des passages salaces de la Bible. 2027, trois jeunes femmes se moquent en secret du gourou de leur communauté d'extinctionnistes. Quelque chose ne colle pas, n'a jamais collé dans le rapport entre sexe, amour et procréation. Des générations de personnages, coincés par les normes sociales, testent tour à tour les limites de la décence. Mais entre le tabou et l'acceptable, la frontière n'est pas aussi claire qu'on aimerait le croire. Pas plus qu'entre la vérité et le mensonge...
Fresque vaste et captivante, La Trajectoire des confettis, premier roman de Marie-Ève Thuot, déchiquette en une pluie de confettis le grand cliché des romans d'amour, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.