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maxime decout
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Heinrich Himmler, chargé de mettre en route la solution finale, exhortait les nazis à emporter le secret dans leur tombe. Les charniers sont nettoyés, les camps démantelés, les preuves liquidées, les témoins assassinés et le souvenir de leur mort est voué à disparaître. Même si de nombreuses traces ont subsisté et que les historiens ont reconstitué les événements, les faits et la factualité ont été attaqués autant que possible, préparant un oubli sur le long cours dont le négationnisme a su tirer profit.
C'est face à ces formes d'anéantissement que la littérature a dû elle aussi réagir. Travaillée par un mal d'archive et un mal du savoir, elle a cherché à faire trace en s'écrivant contre l'effacement, c'est-à-dire à la fois tout contre l'effacement et à l'encontre de celui-ci. C'est de la sorte qu'elle se confronte à ses propres moyens et à ses limites.
Des textes survivants, écrits parfois aux portes des chambres à gaz et cachés sous la cendre, aux enquêtes contemporaines des descendants des disparus, c'est la riposte des oeuvres face à la dissolution des faits que ce livre retrace. Comprendre une telle riposte, c'est pénétrer au coeur des écritures de la Shoah. Mais c'est aussi donner à entendre cette littérature afin que l'effacement programmé, dont les répercussions sont toujours vives, n'en vienne pas à triompher. Sans quoi, ni le souvenir des victimes ni les générations futures ne seront à l'abri. -
Tout lecteur s'est un jour inquiété de ceci face à un texte : comment bien lire ? Il est étonnant que personne ne se demande comment mal lire. C'est pourtant loin d'être une évidence. Il faut de l'art, de l'adresse, de la ruse pour pratiquer une mauvaise lecture véritablement inspirée. Une fois cela admis, vous cesserez de faire uniquement de la lecture une expérience de l'interprétation objective, de la collaboration avec le texte, de l'ordre, de la patience, de la concentration. Laissez-vous envahir par vos passions, laissez flotter votre attention, lisez de travers, sautez des pages. C'est ainsi que vous transformerez ce que vous lisez pour le réinventer. Vous en conviendrez alors : la mauvaise lecture est souvent une excellente manière de lire.
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Revue Europe n.1125/1126 : enquêter sur la Shoah aujourd'hui
Maxime Decout
- Revue Europe
- Revue Europe
- 5 Janvier 2023
- 9782351501269
ENQUÊTER SUR LA SHOAH AUJOURD'HUI.
À mesure que les derniers témoins de la Shoah s'éteignent, la littérature d'aujourd'hui continue à explorer cet événement et ses répercussions à travers une forme singulière qui en vient presque à constituer un genre à part entière : l'enquête.
Après Dora Bruder de Patrick Modiano (1997), celleci s'est imposée avec Les Disparus de Daniel Mendelsohn (2006). Depuis, ces investigations, le plus souvent familiales, ont diversifié leurs formes. Certaines sont fictionnelles, quand d'autres relèvent de la nonfiction.
Afin de mieux cerner les spécificités de ces enquêtes, il convient d'abord d'en retracer la généalogie. Le besoin d'enquêter sur les victimes s'est en effet manifesté très tôt, comme en témoignent Le Convoi du 24 janvier de Charlotte Delbo ou l'échec de l'investigation que met en scène W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec.
Mais ces textes ont aussi contribué, à leur manière, à l'avènement progressif d'un « nouvel âge de l'enquête » dans la littérature d'aujourd'hui.
Les récits contemporains renouvellent volontiers leur écriture en se chargeant d'une mission : informer, documenter, inventorier, enquêter. Ces investigations contribuent aux inflexions les plus décisives de l'écriture contemporaine. Elles participent, à leur manière, à la redéfinition des territoires respectifs de l'histoire et de la littérature, dont les frontières établies ont été perturbées au cours de ces dernières décennies, tant par les historiens que par les écrivains.
Les récits d'investigation mettent en question, et peutêtre en cause, les formes traditionnelles de l'historiographie à qui ils empruntent une partie de leur démarche pour les déborder depuis la littérature et inventer leurs propres méthodes. Pour ces oeuvres, enquêter ne signifie pas combler un manque en faisant renaître les disparus mais faire apparaître leur disparition. L'investigation se charge à la fois des faits et de leur anéantissement, du témoignage et de ce qui en reste quand il a été détruit. Elle s'en charge et s'en fait responsable.
En ce sens, il convient de lui réserver une place primordiale dans notre présent. Car elle représente un moment essentiel de notre relation au passé que les textes réunis ici explorent chacun à leur manière. -
Mentir à un ami, lorgner sur le jeu de son adversaire, bluffer, donner le change, en conter, maquiller son existence, se faire passer pour un autre : la tentation est grande. Nombreux sont ceux qui, dans ce livre, y succomberont pour vous.
Vous y découvrirez que l'imposture est orgueil, folie, maladie mais aussi transgression et bravoure. Telle la singulière révélation de la littérature au sujet des pouvoirs de l'imposture. Vous apprendrez ainsi ce qui lie l'imposteur et l'enquêteur, comment le désir de se travestir et celui de savoir épousent des logiques proches. Vous verrez surtout ce que les oeuvres font de cette imposture, comment elles s'y adonnent pour piéger leurs plus méritants lecteurs. En chemin, vous ferez de surprenantes rencontres aux côtés de Poe, James, Borges, Nabokov, Robbe-Grillet, Butor, Perec, Vila-Matas : des psychanalystes trompés ou meurtriers, des joueurs d'échecs névrosés, des puzzles dont les pièces ne s'emboîtent pas, des labyrinthes sans issue, des tricheurs et des beaux parleurs, des Sherlock Holmes qui déraisonnent, mais aussi quelques manuscrits assassins à ne pas mettre entre toutes les mains. Assurément, vous survivrez à toutes ces embûches, mais vous n'en sortirez peut-être pas indemne. -
En toute mauvaise foi : sur un paradoxe littéraire
Maxime Decout
- Éditions de Minuit
- Paradoxe
- 8 Octobre 2015
- 9782707328571
Dire toute la vérité et rien que la vérité. Vivre dans la transparence et la franchise. Ces préceptes, les chantres du vrai ont voulu les appliquer de force à ce que tout nous désigne comme une forme retorse du mensonge : la littérature. Quelle est la légitimité de cette posture ? N'est-on pas amené à la suspecter, à en reconnaître la fragilité et les impasses ? Car, examinant l'inlassable guerre qui a opposé les tenants de la sincérité (Rousseau, Leiris, Sartre) à leurs détracteurs (Molière, Laclos, Dostoïevski, Gary, Perec), on aperçoit se profiler une autre définition de ce qu'est la littérature.
En toute mauvaise foi : ne serait-ce donc pas ainsi que les oeuvres se présentent à nous et se jouent de nous ? C'est-à-dire en s'inscrivant dans une structure qui n'est ni le mensonge ni la vérité, mais leur mélange incertain. Qui affirme en niant et qui dément en proclamant. Sommes-nous pourtant prêts à accepter que tout discours échappe à ce qu'il est tout en continuant de l'être, à admettre que la littérature ne produise qu'une vérité, parfois contradictoire, et non la vérité ?
Percevoir la manière dont l'oeuvre pose la mauvaise foi, la suscite et la défie, c'est approcher ce qui constitue sa matière même, tant le moteur de ses intrigues que sa métaphysique implicite ou explicite. Mais c'est aussi repenser son rapport au lecteur, au réel et au savoir. Car il y a un paradoxe commun au menteur et au sincère que seule la mauvaise foi permet de décrire en s'arrachant à nos routines intellectuelles. -
écrire la judéité ; enquête sur un malaise dans la littérature française
Maxime Decout
- Champ Vallon
- Detours
- 6 Janvier 2015
- 9791026700012
Il est depuis toujours un élément qui, lorsqu'il vient à l'esprit des uns et des autres, déclenche les réactions les plus contradictoires, allant de la haine à l'empathie: la judéité.
Or l'histoire de notre littérature, lorsqu'on la contemple dans le miroir de notre société et de son Histoire, étonne sur ce point par l'ampleur du phénomène. De Céline à Barthes en passant par Sartre, le Juif fait figure d'élément dérangeant, inquiétant, prescrivant les défoulements ou les refoulements les plus divers. Car cet outsider rappelle tout un chacun à une vigilance nécessaire face aux représentations stéréotypées, aux désinformations et aux idéologies partisanes qui continuent de nous menacer. C'est dans ce cadre qu'on comprend mieux ce que fut l'écriture pour Perec, Gary, Cohen, Wiesel, Modiano, mais aussi Duras ou Blanchot. La judéité aura été pour eux une épreuve et un défi, un garde-fou contre les débordements de l'Histoire, tout comme une nécessité de réinvention de soi et de l'oeuvre.
A l'heure où les tensions identitaires augmentent, où la mémoire des camps est suspectée d'abus et de monopoles, où l'antisémitisme revient en force, il semble ainsi nécessaire de se retourner sur les relations singulières, faites de partialité, de silence ou de fantasme, entretenues entre la judéité et la littérature, si l'on ne veut pas céder aux cécités les plus indéracinables, aux illusions les plus gratuites, aux excès les plus dangereux, dont notre société est aujourd'hui encore la proie.
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De Montaigne à Perec en passant par La Fontaine, Voltaire ou Stendhal, les plus grands écrivains de notre littérature ont imité d'autres oeuvres. Ils ont utilisé, parfois sans le dire, parfois sans en avoir conscience, l'oeuvre des autres pour écrire la leur. Car personne n'écrit à partir de rien. Personne ne prend la plume sans avoir à ses côtés un bagage plus ou moins chargé de livres. Une bibliothèque intérieure, parfois partiellement oubliée, parfois bien présente à l'esprit, parfois directement présente à portée de main, ce qui donne la tentation de l'ouvrir. L'imitation est l'un des phénomènes les plus naturels de la création littéraire. Et malgré cela, les écrivains ont souvent ressenti une gêne, une peur diffuse ou une terreur violente à se sentir ainsi dépossédés de leurs propres mots. Écrire sous influence, tremper sa plume dans l'encrier du voisin : de tels gestes menacent les rêves de singularité absolue et d'originalité qui président à notre manière d'évaluer les oeuvres.
Comment les écrivains ont-ils réagi à cette peur ? Essayer de répondre à cette question amène à se pencher sur les différents paradoxes que les auteurs ont développés pour résoudre l'antagonisme qui oppose l'imitation et l'invention. Ils ont cherché à nous prouver qu'on pouvait guérir l'imitation par l'imitation, penser une imitation sans modèle ou devenir inimitable en imitant.
La peur de l'imitation conduit ainsi à sonder les mystères de la création, à s'interroger sur les notions d'originalité et d'identité, à percevoir l'aspect collectif, pluriel, de toute écriture, sans céder aux illusions du génie et de l'inédit. Plus largement, l'angoisse de l'imitation renvoie à la question fondamentale de la littérature, celle qui se pose aux auteurs, aux éditeurs et aux lecteurs : qu'est-ce qui est spécifique dans mon oeuvre ? qu'a-t-elle à dire en propre sur le monde, sur Moi et les autres ? qu'apporte-t-elle en regard d'une histoire littéraire déjà copieuse et où tout pourrait déjà avoir été dit ? -
Les appropriations du discours antisémite ; comportements mimétiques et détournements carnavalesques
Maxime Decout, Nurit Levy, Michèle Tauber
- Bord De L'Eau
- 9 Novembre 2018
- 9782356876218
Les stéréotypes antisémites sont des instruments de stigmatisation particulièrement répandus et féroces. On connaît la pléthore d'écrivains qui s'y sont abandonnés, obsessionnellement ou méticuleusement, comme Barrès, Maurras, Drumont, Drieu la Rochelle, Céline, Rebatet, Brasillach. Or les écrivains juifs ne sont pas restés indiff érents à l'ampleur du phénomène, récupérant ce discours pour le vider de sa charge haineuse. En renversant le stigmate pour lui octroyer une valeur positive, c'est aussi le fonctionnement de cette parole que ces oeuvres exhibent pour la désamorcer. Ils nous rappellent que l'antisémitisme est avant tout ce discours stéréotypé qui nomme, désigne, identifi e de manière pérenne et stable, comme en réponse à la dissimulation dont on accuse le Juif, afi n de construire plus sûrement l'ennemi dont il a besoin pour exister.
Et pourtant ce geste de réappropriation, ce geste fort, provocateur, n'est pas toujours dénué d'ambiguïtés, notamment quand les valeurs dont l'oeuvre et l'auteur se réclament ne sont pas clairement défi nies pour le lecteur.
On pourrait le soupçonner de pactiser avec la colère et la haine de soi.
N'est-ce pas l'une des accusations les plus fréquemment brandies contre Irène Némirovsky ou Emmanuel Berl ? Comment comprendre cette compromission, momentanée ou défi nitive, avec l'intolérable ? N'est-il pas nécessaire de prendre en considération ces moments de révolte contre soi et les siens pour mieux cerner la dynamique d'une oeuvre ? Et, plus largement, qu'est-ce qu'écrire avec et contre le discours de la haine ? Ce sont ces questions que cet ensemble de réfl exions explore à travers le XXe et le XXIe siècles.
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Revue des Sciences Humaines : à l'épreuve de la guerre ; déplacements esthétiques et renversements poétiques au 20e siècle
Hélène Baty-delalande, Maxime Decout
- Pu Du Septentrion
- Revue Des Sciences Humaines
- 5 Octobre 2017
- 9782913761735
Si on a souvent étudié les enjeux d'une écriture de la guerre, on a moins prêté attention à ses répercussions, après coup, sur la forme et les enjeux des oeuvres littéraires. Qu'elle menace la cohérence d'une poétique ou infléchisse un parcours, l'épreuve polémique devient césure. Prendre la mesure des reconfigurations esthétiques et éthiques induites par la guerre permet d'esquisser une histoire littéraire où les redéfinitions de la littérature s'enracinent dans la violence collectivement vécue.
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Albert Cohen : les fictions de la judéité
Maxime Decout
- Classiques Garnier
- 6 Juillet 2011
- 9782812402760
Cet essai s'est donné pour but d'interroger les mises en scène fictionnelles de la judéité chez Albert Cohen. Il tente d'interroger les fondements de l'être juif depuis son origine, lacunaire et problématique, jusqu'aux tentatives de résolution proposées, ces diverses mises en oeuvre messianiques que les textes essayent. Ce sont ainsi les implications existentielles et métaphysiques de la judéité dans l'oeuvre du romancier qui dévoilent leurs complexités.
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Le vertige des marges ou le roman-poème en question
Maxime Decout, Sulvain Dournel
- Eme Editions
- Le Discours Et La Langue
- 29 Novembre 2018
- 9782806636621
"La revue Le discours et la langue. Revue de linguistique française et d'analyse du discours, se propose de diffuser les travaux menés en français et sur le français dans le cadre de l'analyse linguistique des discours. Elle entend privilégier les contributions qui s'inscrivent dans le cadre des théories de l'énonciation et/ ou articulent analyse des marques formelles et contexte socio-discursif et/ou appréhendent des corpus inédits (notamment électroniques)."
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Revue Roman 20-50 n.74 : Tanguy Viel : la disparition de Jim Sullivan et article 353 du code pénal
Maxime Decout, Laurent Demanze
- Pu Du Septentrion
- Revue Roman 20-50
- 2 Mars 2023
- 9782490889082
Tanguy Viel est un romancier contemporain, publié aux éditions de Minuit connues pour leur veine formaliste, qui, après avoir exploré les interactions entre littérature et cinéma, interroge le pouvoir de la littérature à dire le vrai, comme le droit, ou à s'égarer dans les puissances du faux.