En 1841, Michel Lévy a vingt ans. Ce fils de modestes colporteurs juifs venus de Lorraine à Paris, élevé à l'école de la rue, a quitté le conservatoire d'art dramatique pour l'apprentissage du métier de libraire dans le cabinet de lecture ouvert par son père. A la faveur de la révolution de 48, il va bâtir une des plus grosses entreprises de librairie françaises. En 1856, un véritable coup de génie fait de lui l'initiateur de l'édition moderne : il casse les prix du livre et oblige ses concurrents à s'aligner, favorisant le développement de la lecture dans tout le pays.
Il sera l'éditeur de Mérimée, Baudelaire, Vigny, George Sand, Lamartine, Labiche, Victor Hugo, Flaubert, Balzac, Stendhal, Nerval, des deux Dumas, de Renan et de centaines d'écrivains. A sa mort, en 1875, c'est son frère, Calmann, qui lui succède et assure à la maison de la rue Auber la première place en Europe parmi les éditeurs littéraires. Loti, France viennent ajouter au rayonnement international de Calmann Lévy.
La vie des frères Lévy, intimement mêlée aux mouvements politiques, économiques et artistiques du xixe siècle, est tout à la fois une destinée hors pair et l'éblouissante traversée intellectuelle d'une époque. Jean-Yves Mollier, utilisant maints documents inédits, la restitue ici avec une précision extrême qui, alliée à la passion du chercheur pour son sujet, fait de ce livre une exceptionnelle aventure de l'esprit.
Né en 1947 à Roanne, Jean-Yves Mollier est docteur en littérature. Il est actuellement professeur de Lettres et prépare une thèse d'Etat en histoire sur le jacobinisme au xixe siècle. Il a présenté et annoté Dans les bagnes de Napoléon III. Mémoires de C.F. Gambon (P.U.F 1983).
Entre l'éditeur le plus novateur de son temps et le romancier qui devient célèbre du jour au lendemain par le scandale d'un procès, la relation dure pendantquinze ans et elle produit trois romans : Madame Bovary, véritable coup de tonnerre et immense succès, Salammbô, puis L'Éducation sentimentale, un échec public et commercial.
Comme beaucoup d'histoires de couples, celle-ci commence par un coup de foudre, se prolonge en lune de miel, traverse des tensions et se termine en rupture définitive.
Les deux hommes, tous deux nés en 1821, tous deux passionnés de théâtre avant d'écrire et de publier des livres, avaient de nombreux points communs, mais aussi des conceptions différentes de la littérature : Michel Lévy est un éditeur avisé qui ne sépare pas la qualité artistique de la valeur commerciale ; en esthète aristocratique, Flaubert méprise les « épiciers », du haut de sa conception d'un art autonome que la publication ne peut que prostituer.