« Jouer dehors ! », « libérer la scène », « libérer la parole » : autant d'appels répétés à un théâtre qui se veut « libéré » d'un ensemble de contraintes plus ou moins explicitement nommées. Libérer le théâtre, oui, mais de quoi ?
Ce numéro est consacré aux formes d'expressions verbales et de performances qui investissent l'espace public et qui revendiquent par ce geste, sinon de faire un théâtre politique, à tout le moins de libérer une parole enfouie, tue ou généralement ignorée et habituellement absente du plateau de jeu. Sortir « dans la rue », jouer « dehors », prendre possession de l'espace public, en somme sortir des théâtres, des arènes, des scènes, permettrait une adéquation entre parole politique et espace public, libérant la parole des citoyens sur des sujets de société sensibles ou qui font débat (des questions sociales, politiques, mais aussi de genre). Du Chili à Marseille, en passant par le Brésil, le Burundi, le Mali, le Rwanda et Sevran, ce numéro approfondit la définition, la portée et les enjeux de divers théâtres joués dans l'espace public.
À Paris en 1924 s'ouvre la première bibliothèque spécifiquement dédiée à la prime jeunesse. Cette institution pionnière - inspirée du modèle de la Story Hour américaine et animée par une visée éducative progressiste - invente une nouvelle forme de contage : L'Heure du conte. C'est à partir d'abondantes archives manuscrites et tapuscrites laissées par quelques remarquables bibliothécaires aux fortes et attachantes personnalités qu'est analysé cet original dispositif de médiation littéraire orale. L'accent est mis sur l'inédit travail de mise en oeuvre - une passionnante forme d'introspection professionnelle et militante - et sur l'attention extrême portée aux interactions vives entre conteuses et jeunes auditoires. En somme, un mode de socialisation culturelle innovant et moderne - promis à un brillant avenir - qui alors s'expérimente, se régule et s'enrichit à partir du « terrain ».
Si les récits « biographiques » de vies extraordinaires partagent avec les récits légendaires une part de merveilleux, ils s'en distinguent cependant par bien des aspects, et tout d'abord du fait de l'action efficace déployée par le personnage central du récit. Héroïnes et héros, saintes et saints acquièrent ainsi, bien souvent, une dimension fondatrice d'un culte, d'un sanctuaire, d'un « lieu de mémoire » ou d'un mouvement collectif. Ils sont par conséquent ancrés dans un territoire. « Comme Michel de Certeau l'a si bien montré dans la Fable mystique, les histoires de saints racontent des "relations" : "Ce sont des récits de transferts, ou d'opérations transformatrices dans des contextes énonciatifs" [1982, p. 65] » (Carrin, 1995, p. 107).
Après un premier numéro des Cahiers de littérature orale consacré aux récits de vies extraordinaires portant principalement sur les ancrages territoriaux et les implications politiques des narrations, ce second volume traite plus précisément des aspects stéréotypés de ce genre de récit d'une part, de la place des récits biographiques des saints et des héros dans les fêtes, cultes et commémorations les concernant d'autre part.
Quel rôle ces récits jouent-ils dans les cultes thérapeutiques, divinatoires, publics, domestiques, etc. ?
Quelles pratiques langagières articulent ces deux plans de la construction, un motif et une figure héroïque ou « sanctifiée » ?
À l'image de sa couverture, ce numéro de varia rassemble des articles traitant de la parole dans tous ses éclats. Malédictions féminines, récits visionnaires, chants contestataires, légendes et contes nous transportent de la Macédoine au Brésil en passant par la Creuse, la Kabylie, Bobo-Dioulasso, Djibouti et la Tanzanie. À partir de ce florilège, les auteurs nous invitent à questionner la capacité des arts de la parole à activer la mémoire, mais aussi à susciter l'action, voire à transformer le monde.
Si la parole est l'arme des puissants, elle peut être aussi l'arme des faibles, une liberté conquise plus qu'acquise souvent. La parole publique a ainsi sa performativité propre.
Cette voix contestataire est une oralité au plein sens du terme : une oralité poétique, chantée, tambourinée, dansée, murmurée, criée. Une choralité politique. Ces oralités contestataires requièrent souvent courage et astuce, imagination et détermination. Les textes rassemblés dans ce florilège ont été composés dans des contextes et des époques différents, mais tous ont pour objectif de mettre en valeur une contestation, lyrique ou humoristique, festive ou plus directement politique, collective ou solitaire, mais toujours pour le bien commun. Et souvent contestation portée par des voix de femmes, ni bavardes ni muettes... Ces moments d'oralités contestataires ont été choisis parce qu'ils raisonnent/résonnent de façon forte avec la situation actuellement vécue par le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche française, et plus largement sans doute avec la société française bousculée dans son système social, modèle évidemment imparfait mais précieux.
Ce numéro allie une triple transversalité. Transversalité disciplinaire d'abord qui associe ethnomusicologues, littéraires et anthropologues ; transversalité formelle ensuite, allant de la poésie chantée ou déclamée aux récits de vie, aux conversations, et même aux comptes rendus écrits d'expériences sonores ; transversalité géographique et linguistique enfin puisque se côtoient des voix aborigènes d'Australie, peules du Mâcina, sámi d'Europe septentrionale, ou encore celles de chasseurs du Jura. C'est à partir de cette diversité de cas que ce numéro explore les façons dont l'expérience des lieux et la création verbale, en particulier orale et chantée, se nourrissent et se façonnent mutuellement. Il entre ainsi en résonance avec les questionnements et motifs présents dans le texte de Steven Feld dont on propose une traduction.
Ce numéro s'intéresse particulièrement à la production d'écrits littéraires qui sont allés puiser dans les imaginaires et les pratiques orales de l'enfance ainsi qu'aux liens qui se nouent entre eux à travers une inventivité langagière particulièrement féconde.
La culture enfantine de tradition orale, présente dans la plupart des cultures, est aussi à l'oeuvre dans la littérature (écrite). En effet, des historiettes, devinettes, contes, comptines, chansonnettes, etc., à la littérature écrite, il y a une inspiration réciproque, qui amène à considérer les relations productives que la littérature entretient plus largement avec les imaginaires culturels de l'enfance. Ce numéro 88 de Cahiers de littérature orale se concentre donc sur les modalités de cette présence latente ou explicite des oralités enfantines en littérature moderne et contemporaine. Les contributeurs s'interrogent sur ce que le texte littéraire quête dans ces univers discursifs enfantins, sur la distribution des oralités enfantines selon les périodes, les esthétiques ou les genres littéraires, sur les modes de sémiotisation écrite des pratiques orales enfantines sur le plan stylistique, narratologique et sémantique, enfin sur les modalités de circulations entre culture enfantine orale (l'enfance de l'art) et culture littéraire (l'art de l'enfance).
Les performances verbales, musicales ou dansées étudiées par l'ethnopoétique offrent des changements de rythme qui assurent leur efficacité. Mais que se passe-t-il au juste quand le rythme change? et pourquoi en changer? Ce sont les basculements rythmiques que les contributions du volume s'attachent à comprendre, ces moments où quelque chose se passe et un événement se produit.
L'oreille attentive à ce volume sera captivée par différentes variations rythmiques: celles du chant choral des jeunes filles à Sparte, de l'ahwash berbère du Maroc, du semah des Alévis de Turquie, mais aussi par celles des veillées musicales de Sanaa au Yémen, des paroles proverbiales chez les Bwa du Mali, ou encore par les variations réalisées dans la chanson tango et le rap. Autant de performances analysées ici, qui aident à comprendre en contexte ce que « changer de rythme » veut dire.
Dans son ouvrage Le grain de la voix Roland Barthes affirme que l'oralité continue de «s'insinuer, comme l'un des fils dont il est fait, dans le réseau d'une économie scripturaire». Le propos du volume est de saisir quelques exemples d'une oralité lettrée, une oralité qui se dissimule, se recompose et se transforme dans la littérature écrite. Les exemples ne manquent pas de ces reprises (délibérées), de ces résurgences (peut-être inconscientes), de ces échos (lointains), d'¦uvres issues de l'oralité, en tout premier les contes populaires, objets placés par les écrivains entre nostalgie et dérision. Plus émouvantes et combatives, les littératures dites "émergentes" tentent de faire passer l'oralité dans un écrit qui lui garderait sa vivacité et n'en ferait pas une "lettre morte". La remise en jeu de l'oralité constitue sans doute une réserve d'altérité culturelle proche. Au sommaire : N. Belmont et J.-M. Privat, «Éditorial» ; J.-M. Privat, «Si l'oralité m'était conté» ; J. Goody, «The folktale and cultural history» ; N. Belmont, «"La Fille aux trois galants". Nouvelle littéraire et structure en miroir» ; E. Lemirre, «Nodier et la tradition orale de Pouçot (T 700)» ; M. Scarpa, «Du roman au conte. L'exemple de Zola» ; L. Andries, «La Bibliothèque bleue entre textualité et oralité» ; G. Keryell, «Kalevala et Barzaz-Breiz, performance écrite et folklore international» ; J. Derive, «Imitation et trangression. De quelques relations entre littérature orale et littérature écrite en Occident et en Afrique» ; S. Pellerin, «Au pays des Grands Lacs : Gérald Vizenor entre tradition orale et littérature engagée» ; J.-L. Picard, «Paroles de la nuit ma'ohi».