«Lorsque dans la milonga (ainsi nomme-t-on le bal de tango) les danseurs se rejoignent sur le parquet, leurs bras se lèvent doucement et ils s'enlacent - ils se prennent dans les bras, ils s'embrassent, étymologiquement. D'où le terme argentin, adopté par les Français:l'abrazo. La main gauche de la femme se place sur le haut du bras de l'homme ou sur son omoplate, ou bien encore passe par-dessus son épaule, tandis que celui-ci, glissant sa main droite par en dessous, la pose sur le dos de sa partenaire. De l'autre côté, leurs mains se tiennent en l'air, paume contre paume. Dès qu'on entre dans l'abrazo, on devine, à son corps, sa tenue, sa prise, on devine quelque chose de son partenaire.»Dans ce texte sensuel, Belinda Cannone déploie, à partir de la danse, une superbe poétique du lien et de la relation. Une poétique qu'elle condense en un mot aux mille échos:l'embrassement.
«Un jour que tu devais rejoindre un amant désiré (tu te trouvais sur une île), pour passer quarante-huit heures avec lui, le temps a été si mauvais qu'aucun bateau ne partait. Tu peux mobiliser des ressources insoupçonnées lorsque ton désir est menacé par les circonstances : tu as réussi aussitôt à trouver un petit avion privé pour franchir la mer qui vous séparait. Le pilote amateur, enchanté d'avoir une raison de voler, ne t'a réclamé que le prix de l'essence. Ce souvenir te ravit toujours : tu te reconnais bien dans cette extrême et soudaine efficacité qui te permet de trouver un avion pour ton désir.»
Par "imposture", Belinda Canonne ne renvoie pas aux escrocs de la confiance, ceux qui en imposent ou qui usurpent une place. Elle décrit un sentiment très commun qu'on a cependant toujours grand soin de cacher: l'intime conviction de ne pas être celui ou celle qu'il faudrait être pour occuper légitimement la place dans laquelle on se trouve, et la crainte d'être démasqué. Si ce trouble met en cause l'identité, il n'engage pourtant pas la question: "qui suis-je?", mais: "suis-je celle ou celui que je devrais être pour me trouver à cette place?". Toute ambition, quelle qu'en soit la nature (professionnelle, amoureuse, existentielle, etc.), peut susciter cette inquiétude. En trente-six allègres chapitres qui vont de la littérature à la psychanalyse en passant par le cinéma, la politique ou nos expériences quotidiennes, cet essai propose récits et réflexions sur l'origine et les manifestations du sentiment d'imposture.
L'histoire incite nécessairement les créateurs de notre temps à penser à partir de catastrophes - guerres mondiales et génocides - inaugurales pour la raison et pour notre indispensable croyance en la légitimité et la perfectibilité de l'humanité. Mais ce désastre placé à l'orée du geste de création ne peut pas être un horizon pour l'homme. Le seul horizon raisonnable et joyeux consiste au contraire à trouver les moyens du dégagement, de l'échappée et de la réinvention, en pleine conscience du pire possible. Il s'agit, pour chacun, créateur ou pas, de comprendre comment édifier le bonheur à partir de notre connaissance du désastre.
Plutôt qu'expression nécessairement tournée vers l'ombre, Belinda Cannone voit dans l'écriture la manifestation de notre volonté d'étreindre - le monde, la réalité rugueuse ou douce - et de célébrer notre présence au monde, notre désir de vivre. Parce que ce désir majuscule se concentre particulièrement dans le désir sensuel et dans l'amour, s'y donne à voir dans son aspect le plus concentré, le plus beau, cet essai entrelace la narration du désir qui meut l'écrivain à des réflexions sur le désir érotique. Il révèle le désir de connaître que les romans manifestent, et qui nourrit la lecture. Ce qui compose l'étrange et sinueux tracé de la littérature et de notre existence.
«L'oeuvre. Faire oeuvre. Oeuvrer. Enfanter. L'Oeuvre. Sous ce titre dont il n'était pas tout à fait satisfait, Zola a voulu peindre le travail de la création. De tous les domaines de l'activité humaine qu'il a méthodiquement explorés, celui-ci occupe une place singulière en ce qu'il met en scène les artistes, lesquels relèvent, selon la topologie zolienne, d'un monde à part (avec les prêtres, les meurtriers et les prostituées), mais surtout parce qu'il est celui-là même où s'exerce l'activité de Zola. Ce quatorzième roman de la série des Rougon-Macquart occupe donc une place à part dans la mesure où il présente un aspect autobiographique très prononcé, ce qui explique sans doute qu'il ne comporte qu'un personnage, Claude Lantier, apparaissant ailleurs.»Belinda Cannone.