Nos invités de ce début 2025
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Fascinée par une boîte de négatifs dont elle a fait l'acquisition sur un marché à Berlin, une femme s'efforce d'en deviner les motifs. À travers les ombres et les contrastes, elle guette les signes qui lui permettent de les dater et y distingue la silhouette d'une autre femme, dont elle imagine l'existence : celle d'une personne ayant grandi sous le régime nazi, formatée par cette idéologie de la « normalité » et de la performance.
Mais à cette réflexion sur le conditionnement social, sur la valeur des images, ce qu'elles fabriquent et transmettent, vient se greffer une interrogation sur la propre trajectoire de la narratrice : pourquoi a- t-elle été attirée par cette femme et ces photos? N'a-t-elle pas elle-même été considérée comme « différente », inapte à interagir avec les autres? Si les dictatures sont connues pour contraindre les trajectoires individuelles, au nom d'un idéal supérieur, les sociétés contemporaines sont-elles exemptes de critiques quant aux catégorisations qu'elles créent et aux modalités qu'elles imposent? Au fil de cette double enquête historique et sensible, Sandra de Vivies traque les trajectoires perçues comme non conventionnelles et interroge les possibilités de leur existence. -
Attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son livre, Le Consentement, l'autrice est appelée par la police pour venir reconnaître le corps sans vie de son père, qu'elle n'a pas revu depuis dix ans. Dans l'appartement de banlieue parisienne où il vivait, et qui fut jadis celui de ses grands-parents, elle est confrontée à la matérialisation de la folie de cet homme toxique, mythomane et misanthrope, devenu pour elle un étranger. Tandis qu'elle s'interroge, tout en vidant les lieux, sur sa personnalité énigmatique, elle tombe avec effroi sur deux photos de jeunesse de son grand-père paternel, portant les insignes nazis. La version familiale d'un citoyen tchèque enrôlé de force dans l'armée allemande après l'invasion de son pays par le Reich, puis déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme, et travaillant pour les Américains à la Libération avant de devenir « réfugié privilégié » en tant que dissident du régime communiste, serait-elle mensongère ?
C'est le début d'une traque obsessionnelle pour comprendre qui était ce grand-père dont elle porte le nom d'emprunt, quelle était sa véritable identité, et de quelle manière il a pu, ou non, « consentir », voire collaborer activement, à la barbarie. Au fil de recherches qui s'étendront sur deux années, s'appuyant sur les documents familiaux et les archives tchèques, allemandes et françaises, elle part en quête de témoins, qu'elle retrouvera en Moravie, pour recomposer le puzzle d'un itinéraire plausible, auquel il manquera toujours des pièces. Comment en serait-il autrement dans une Tchécoslovaquie qui a changé cinq fois de frontières, de nationalité, de régime, prise en tenaille entre les deux totalitarismes du XXème siècle ? À travers le parcours accidenté d'un jeune homme pris dans la tourmente de l'Histoire, c'est toute la tragédie du XXème siècle qui ressurgit, au moment où la guerre qui fait rage sur notre continent ravive à la fois la mémoire du passé et la crainte d'un avenir de sauvagerie.
Dans ce texte kaléidoscopique, alternant fiction et analyse, récit de voyage, légendes familiales, versions alternatives et compagnonnage avec Kafka, Gombrowicz, Zweig et Kundera, Vanessa Springora questionne le roman de ses origines, les péripéties de son nom de famille et la mythologie des figures masculines de son enfance, dans une tentative d'élucidation de leurs destins contrariés. Éclairant l'existence de son père, et la sienne, à l'aune de ses découvertes, elle livre une réflexion sur le caractère implacable de la généalogie et la puissance dévastatrice du non-dit. -
Après un scandale, l'écrivain congolais Faust Losikiya fuit la France pour Haïti où il compte trouver la documentation nécessaire afin de terminer son roman sur la guerre de libération de l'île. Sur place, il fait de nombreuses rencontres et retrouve des amis journalistes et artistes. Dans le même temps, à Kinshasa, le président de la République sollicite l'aide de Molili, âgé de 140 ans.
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Une femme perd son chat. En l'enterrant dans son jardin, elle met au jour un trésor. Elle voyage. Elle rencontre un homme en Italie. En l'espace d'un an, sa vie est entièrement transformée.
« J'avais sept ans. J'ai toujours pressenti qu'une douleur lumineuse me toucherait un jour. Je savais que cette douleur inexplicable proviendrait de cette heure où tout, quand j'étais petite, s'était perdu. Il y avait une sorte de neige à la fin de mon enfance qui tombait en silence. Tout devait sortir du fond du monde comme le soleil sort de la nuit. »
Pascal Quignard est né en 1948 à Verneuil-sur-Avre (France). Il vit à Paris. Il est romancier (Carus, Le Salon du Wurtemberg, Tous les matins du monde, Terrasse à Rome, Villa Amalia, Les Solidarités mystérieuses, Les Larmes, Dans ce jardin qu'on aimait, L'Amour la mer). Il a composé deux ensembles où la fiction est mêlée à la réflexion (Petits traités, 1981-1990, tomes I à VIII ; Dernier royaume, 2002-2023, tomes I à XII). -
« Quand j'écris le mot famille, allez savoir pourquoi, je mange le m - on lit faille.
C'est depuis cette fêlure que j'ai écrit ce livre. D'aussi loin que je me souvienne, sortir de chez moi allait avec un immense soulagement et, plus secrète, une profonde joie. L'extérieur était une promesse. Là où certains voient un refuge, d'autres voient une prison. Ceux-là préfèrent la fuite à l'ancrage, et s'inquiètent d'une vie trop normée. C'est à ces personnes que je m'intéresse ici : celles qui, par instinct, se méfient du familier. Celles qui se sentent fauves, désaxées, intimement exilées. Celles que le groupe a expulsé, ou qui le rejettent, pour des raisons intimes, politiques ou métaphysiques - tout à la fois. Celles qui, tout en aimant leur foyer, s'y sentent parfois piégées. Celles qui refusent, ne parviennent pas, ou n'aspirent pas, à s'établir.
Toutes celles qui doivent couper pour rester vivantes. »
B. R.
Après Vers la violence Blandine Rinkel nous livre un récit littéraire, personnel et critique sur la famille : comment en sortir, habiter d'autres lieux, imaginer d'autres liens. À la croisée des mondes de Maggie Nelson et de Rebecca Solnit, La Faille est un texte libre, rigoureux et sensible, qui nous met en mouvement et nous amplifie.